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EVELLIN. — la pensée et le réel

Notre réponse sera bien simple.

Si vraiment le phénoménisme existe à titre de doctrine intelligible, si, en dépit des contradictions qui l’entravent et arrêtent ses premiers pas, on peut établir qu’il est jamais parvenu à se poser, nous passons condamnation, et nous sommes prêts à déclarer que la définition précédente est trop étroite.

Mais notre conviction profonde est que la doctrine du phénomène n’a qu’une ombre d’existence, et que, au moment où on la met en demeure de s’affirmer, elle se voit dans l’alternative, ou de substituer à des idées définies des mots dénués de sens, ou d’introduire l’action sans laquelle rien n’est possible.

Les partisans de cette doctrine demandent qu’on leur accorde, au moins à titre de postulat, la donnée fondamentale du système, l’existence du phénomène et du phénomène seul.

Mais faire une telle concession c’est d’avance se lier les mains et tout accorder. Comment admettre qu’on puisse fonder un système sur la violation d’une loi de la pensée et de la plus haute ? Nous l’avons dit et redit, le phénomène enveloppe l’être qui se pose toujours et nécessairement avant lui.

Et lorsqu’on soutient le contraire, on jette à la raison un défi que la raison relève aussitôt en faisant voir qu’en lui-même le phénomène n’est rien.

Il n’est pas de spectacle plus étrange à la fois et plus instructif que celui que donne le phénoménisme lorsque, contre toute raison, il essaye de s’affirmer. Obligé de reculer sans cesse devant les demandes d’explication, réduit sous peine de se contredire à ne rien préciser ni définir, il se perd dans l’indéterminé et le néant.

Vous voulez savoir si le phénomène est posé ou s’il se pose. On élude cette question indiscrète en faisant observer que, si l’on y répond, on rend le système intelligible, et que la loi d’intelligibilité, comme toute loi de l’esprit, doit être écartée, au début, comme étrangère au phénomène.

Il est, en vérité, trop facile de répondre que la loi d’intelligibilité c’est l’esprit lui-même, et que le phénoménisme, comme tout autre système, ne peut être proposé qu’à une pensée.

Supposons pourtant qu’au moment où le phénomène s’affirme, il n’existe aucune pensée, et que son intelligibilité ne soit point en cause.

Il faudra avec ce néant d’intelligibilité rendre plus tard la nature intelligible. À quel titre, par quel miracle, à quel moment, l’intelligibilité s’introduira-t-elle dans les choses ?

Mais n’insistons pas sur ce point délicat et donnons encore gain