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EVELLIN. — la pensée et le réel

a de spontané et de jaillissant, et que l’action ainsi conçue est au fond de tout et explique tout.

Le phénomène n’a de droit à l’existence que lorsque l’existence de l’être est assurée. S’il y a dans le champ de la pensée deux places à prendre, l’être ne peut occuper que la première ; s’il n’y en a qu’une, elle est pour lui.

Mais, en fait, le phénomène s’impose et nul n’a jamais songé à le nier. L’esprit se trouve donc, à l’origine même de toute démarche et de tout progrès, en face d’une dualité radicale. Être et phénomène sont les deux pôles, l’un supérieur, l’autre inférieur, auxquels toute connaissance est suspendue. Vers celui-ci est orientée la science, et vers celui-là la métaphysique.

On le voit, la métaphysique a une raison d’être, antérieure et supérieure à la science elle-même. Sa racine est au plus profond de la pensée. Nulle tentative n’a pu l’en arracher ni ne l’en arrachera jamais.

Et maintenant comment soutenir que ce qui fait son objet propre est une chimère ? Rien ne serait donc au delà du phénomène ? Mais, si le phénomène est certain, certaine aussi est l’existence de l’être qu’il enveloppe. S’il est immédiatement saisi, que dire de la connaissance de l’être, déjà impliquée dans la sienne ?

Vous craignez que l’être ainsi posé ne soit un rêve. Appelez donc rêve le phénomène que l’être supporte et qui, faute d’un point d’appui, va s’évanouir. Appelez rêve la pensée elle-même, la pensée qui ne s’affranchit de la contradiction et ne parvient à se poser que si l’être est.

L’être est, et l’on ne peut appeler être ni un état purement passif ni même un acte fugitif et mobile qui, détaché de son principe, ne trouverait point en lui l’activité nécessaire à sa production.

Seul ce qui est en soi et agit de soi mérite le nom d’être et appartient à la métaphysique.

On voit maintenant pourquoi tant de doctrines différentes, et, parmi elles, celles-là mêmes qui auraient voulu faire de la loi de connaissance relative une règle inflexible et sans exception, se sont rencontrées dans l’affirmation de l’être. Cette affirmation est à l’origine de toutes les autres, et l’écarter de parti pris c’est renoncer non à telle opinion ou à tel système, mais à la pensée.

Faute de s’être entendu sur les méthodes à suivre, on a pu donner à l’être des qualifications différentes et même opposées, mais l’être, dans le double fait de son existence et de son union avec la pensée, a toujours échappé à cette diversité d’opinions, et avec l’être, l’absolu, sans lequel le relatif même ne serait pas.