Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
240
revue philosophique

phénomène, on l’a vu, mais la réciproque est insoutenable. Croit-on que l’être n’existe que parce que le phénomène l’a produit ? Veut-on que l’action vive et jaillissante sorte de l’état inerte et mort ?

Le phénomène est contemporain de l’être. Accordons-le, mais ajoutons tout de suite qu’il lui est subordonné puisqu’il en dépend. L’être seul est vraiment absolu, vraiment premier.

La liaison qu’on nous objecte ici n’a donc pas le sens et la portée qu’on lui prête. À parler exactement, ce n’est pas l’être qui est lié au phénomène, c’est le phénomène qui est lié à l’être, lequel demeure autonome et indépendant. Il ne faudrait pas intervertir les rôles et prendre — qu’on nous passe la comparaison — le prisonnier pour celui qui en a la garde et le maintient. Le phénomène est vraiment le prisonnier de l’être. Il relève de son autorité et est enchaîné à son vouloir. S’il se montre, ce n’est que sur son ordre et il disparaît au premier signe. Sans pouvoir sur lui-même puisqu’il ne s’appartient pas, inerte et en quelque sorte les mains liées, il subit toutes les impulsions et n’attend rien que du dehors.

Allons plus loin. Nous avons jusqu’ici raisonné dans l’hypothèse d’une connexité absolue entre ces deux éléments si étrangement qualifiés parfois de rivaux. C’est là une concession toute provisoire et qui appelle dès maintenant d’expresses réserves. On peut établir, et nous l’essayerons plus loin, que le phénomène, tel que nous le connaissons, n’est possible que dans une seule hypothèse, celle de la multiplicité de l’être. Il ne serait donc en définitive qu’un accident. L’être en tant qu’être l’exclut plutôt qu’il ne l’appelle, et il ne peut se produire que s’il existe entre des êtres individuellement distincts des relations qu’il soit chargé d’exprimer. Sans doute, pour que ces relations se produisent il faut bien que l’être soit, mais la réciproque n’est pas vraie parce que de l’être au phénomène il faut passer par des étapes qu’aucune nécessité ne relie. L’être, après tout, peut être posé sans qu’on soit tenu de le poser comme multiple, et, si on le pose comme multiple, on peut encore contester l’existence des relations directes que cette multiplicité rend possible et qui, à leur tour, engendrent le phénomène.

En deux mots, l’être est la condition nécessaire, mais non suffisante du phénomène. Vous affirmez que l’être est. Rien n’en résulte nécessairement et il se peut encore que le phénomène ne soit pas. Au contraire, le phénomène est donné : l’être est déjà, il le faut.

Concluons donc sans arrière-pensée à la vérité de notre proposition fondamentale. À l’origine et avant quoi que ce soit il faut poser l’être, parce que l’être c’est l’action à sa source, l’action en ce qu’elle