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EVELLIN. — la pensée et le réel

Or l’action c’est l’être lui-même, cela seul méritant le nom d’être qui a l’initiative de son acte.

L’être est donc premier dans l’esprit comme dans les choses, et cette primauté est le privilège essentiel de sa nature. En vain voudrait-on le bannir de la pensée : si l’action était avant tout le reste, il faut que sous tout le reste l’action se retrouve, et avec l’action l’être lui-même. Le phénomène est donné, or ce qui est donné est produit et ce qui est produit est second. On peut oublier ou méconnaître cette loi, mais elle s’impose à ceux-là même qui la méconnaissent ou l’oublient. C’est ce que démontre l’impossibilité où nous sommes de placer l’absolu dans le phénomène : s’il est, quelque chose est avant lui ; s’il est réel, une réalité existe qu’on n’avait pas vue et qui le dépasse. Poser le phénomène seul, c’est ne pas s’apercevoir que la place qu’on veut qu’il occupe est déjà occupée par l’être, invisible à une observation superficielle, mais déjà présent. Il suffit d’ouvrir les yeux pour que l’illusion en un instant se dissipe. Il semble alors, ou que le phénomène recule devant l’être qui l’écarte et prend sa place, ou, si le phénomène demeure immobile, que l’être, à mesure que l’analyse devient plus pénétrante et plus précise, se dégage peu à peu de la pénombre qui l’enveloppait, pour se montrer là où il doit être, c’est-à-dire à la base même du sensible, qui n’en est plus que l’expression fugitive et le reflet.

Pour échapper aux conséquences d’une loi que l’observation la plus simple met hors de doute, on allègue que, s’il est impossible d’affirmer le phénomène sans l’être, il ne l’est pas moins d’affirmer l’être sans le phénomène. En ce cas, le phénomène aurait, lui aussi, sa nécessité, et comme il s’imposerait à l’être avec autant d’autorité que l’être à lui, il faudrait ou poser en même temps ou supprimer à la fois ces termes connexes. Premiers à la fois et égaux, ils formeraient, dans la réalité comme dans la conscience, un couple strictement indissoluble, sans qu’il fût possible d’attribuer à l’un des deux un degré quelconque d’antériorité ou de supériorité sur l’autre.

Admettons pour un moment qu’une telle allégation soit fondée ; supposons que les termes dont on parle soient si étroitement unis que nécessairement ils s’appellent et se complètent. Notre thèse n’en sera ni ébranlée ni même atteinte. Le phénomène, dites-vous, se pose avec l’être et en même temps. Soit, mais comment se pose-t-il sinon comme effet et comme résultat ? Il faut affirmer au-dessous de lui et à sa base l’être qui le porte et qui l’explique. Que les deux termes soient ou non simultanés, peu importe et là n’est pas la question. Il s’agit de savoir lequel des deux suppose l’autre, et sur ce point il ne saurait y avoir l’ombre d’un doute. L’être est la raison du