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est dérivé, incapable de se suffire, et par suite inconsistant et ruineux ?

Résumons en quelques formules la proposition fondamentale que nous venons d’exposer.

Posé seul, le phénomène est nécessairement et par là même en soi et par soi.

Il est en soi, car l’hypothèse ne permet pas qu’il soit l’acte ou l’état d’un être distinct de lui et pris hors de lui.

Il est par soi, car il ne reste que lui, et dès lors sa raison d’être ne peut être placée qu’en lui.

Or ce qui est en soi et par soi possède consistance et activité, deux attributs qui sont la négation même du phénomène.

Veut-on écarter de la discussion tout considérant métaphysique, et demande-t-on que le phénomène, abstraction faite de son origine, soit pris pour ce qu’il est lorsqu’il se montre, c’est-à-dire pour un simple fait ?

Le phénomène ne suffira plus à la tâche qu’on lui impose. Si l’inertie est radicalement impuissante, il faudra renoncer à la nature et à la pensée, car la nature est mouvement, et la pensée, action.

On insiste, on fait observer que l’activité, en tout ce qui est, n’est que supposée ou induite. Il se peut donc que ce qui paraît activité, au travers du phénomène, ne soit en définitive qu’une loi générale, la loi de synthèse, donnée d’emblée et toute faite.

Nous répondons que, dans l’hypothèse, une telle loi est inadmissible. Elle est exclue d’avance par la loi de dispersion sans limite, qu’on a posée avec le phénomène, et qui résulte précisément de son inertie. L’isolement une fois décidé et signifié aux choses dès l’origine, tout est dit, et nulle synthèse ne s’explique plus.

Et si toute synthèse manque, l’ombre même d’une nature a disparu sans retour et l’idée de la science s’est évanouie.

Ce n’est pas tout :

Le phénomène, tel qu’il apparaît, n’est que la synthèse de ses parties, et, dans le milieu où il est donné, il ne vit que des rapports qu’il entretient. Lors donc qu’on s’imagine le poser seul, on pose avec lui des liaisons qui le font autre qu’il n’est, et sans lesquelles même il ne serait pas.

De là, les conséquences suivantes :

Vous ne pouvez affirmer le phénomène comme tel, le phénomène en lui-même et sans élément étranger à sa nature.

Ce que vous y ajoutez, c’est l’action, nécessaire à son existence, nécessaire à la synthèse même qui le constitue.