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forme de l’unité. Oui, une multiplicité quelconque, en tant du moins qu’on a le droit de l’appeler une, est déjà collection et synthèse, et elle ne s’affirme elle-même ou n’apparaît comme telle à une pensée que si les termes qu’elle enveloppe et qu’elle résume ont pu, de quelque façon, se soustraire à l’invincible isolement qui est leur loi. Veut-on du moins que, pour demeurer ce qu’il est et ce que nous sommes habitués à le voir, le phénomène possède l’étendue, qu’il ait forme et couleur, qu’en un mot il soit sensible ? Nous n’y saurions consentir et il s’y refuse. L’étendue est inconcevable sans quelque synthèse de parties multiples, or la synthèse est aussi impossible pour chaque partie dans le phénomène que pour chaque phénomène dans le tout ; et, d’autre part, l’étendue absente, comment imaginer forme et couleur ?

Ainsi se dissout peu à peu le phénomène, entraîné dans le néant par l’inertie qui n’est que le mensonge d’un attribut véritable, parce qu’elle n’est le pouvoir — si ce mot garde ici un sens — de ne se prêter à rien et de s’éliminer de tout. Pris seul et dépouillé de tout ce qui le fonde dans l’existence, que lui reste-t-il ? On peut dire qu’il est moins que l’ombre de lui-même, car l’ombre encore offre quelque chose de saisissable à la perception. Il n’existe en aucun temps ni nulle part, impuissant d’ailleurs à rendre jamais intelligible lieu ou durée. Ce serait assez pour qu’il ne fût pas ; mais, considéré dans sa nature propre, il faut encore qu’il se réduise à l’unité et à l’indivisibilité du point, avec une différence toutefois, et capitale. Le point du géomètre, parce qu’il s’oppose à l’étendue, est l’objet d’un concept au moins négatif ; le point phénomène ne se conçoit absolument plus, soit que maintenant l’un des deux termes nous manque, l’étendue, et que dès lors le contraste nécessaire au concept fasse défaut, soit que, toute relation, celle même de phénomène à phénomène étant désormais interdite, ce qu’on appelle pensée n’ait plus, en définitive, aucun sens.

Sans doute, l’unité réelle, l’unité dynamique présenterait des caractères analogues. Elle aussi serait, par définition et en tant qu’une, soustraite aux relations de temps et d’espace ; elle aussi devrait être inétendue et indivisible, mais il lui resterait l’action d’où tout peut sortir, l’action capable de la relier à des unités semblables et de créer peu à peu ces synthèses de plus en plus riches par où tout s’explique. Poser l’action, c’est mettre partout la lumière avec la puissance. Aussi n’est-ce pas un mince sujet de surprise que de voir des esprits réfractaires à une telle genèse des choses, s’ingénier, sous prétexte de simplification, à rompre le seul lien qui permette de réconcilier les contraires, à effacer le seul trait d’union qui rende