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EVELLIN. — la pensée et le réel

synthèse implique une activité immanente dans les éléments qui s’unissent, lorsque du dehors nulle impulsion n’est possible. Or rien ne peut agir du dehors lorsqu’on ne laisse subsister que le phénomène. Il faut donc qu’il soit comme tel, c’est-à-dire inerte, puisqu’on le pose, et d’autre part, qu’il enveloppe l’action puisqu’on pose aussi la synthèse comme réalisée. De là une contradiction flagrante où se montre à nu et éclate le vice radical de l’hypothèse. Le phénomène, quoi qu’on fasse, se refuse à prendre la place de l’être. Lorsque l’être a été écarté, le phénomène c’est l’être encore, reconnaissable à son activité sous les apparences qui le recouvrent.

Un esprit positif et défiant à l’égard des principes peut, il est vrai, ignorer ou tenir pour non avenue l’activité que tout suppose ou laisse entrevoir dans le monde, et affirmer, à titre de simple fait, mais de fait primordial et universel, la loi de synthèse qui s’impose aux phénomènes et les groupe pour en former une nature. Quelle est la raison de cette synthèse et comment peut-elle être ? Là n’est pas la question. Elle est ; il suffit. Vouloir l’expliquer c’est compliquer le problème et faire de la métaphysique mal à propos.

Nous acceptons le débat sur ce terrain. La loi de synthèse n’est qu’un fait : soit. Mais d’abord c’est un fait étranger au phénomène qu’on s’était fait fort de poser seul ; de plus, il le contredit, car la donnée nouvelle est la négation formelle de la première. Avec le phénomène pris seul et sans élément adventice, tout est isolé et épars ; avec la synthèse, tout est lié. Comment laisser subsister ces deux conceptions contradictoires que maintenant aucun intermédiaire ne relie ?

Il faut donc se priver de toute synthèse et poser des termes sans rapports. Nous voilà contraints de reculer jusqu’à Protagoras et Héraclite, et de sacrifier nature et science qui ne peuvent plus être que des illusions. Encore si la logique ne nous poursuivait pas, impitoyable, jusque dans ce dernier retranchement ! L’empirisme des premiers philosophes grecs s’y crut à l’abri de toute attaque, et il semble, aujourd’hui encore, qu’on puisse au moins y sauver le phénomène. Il n’en est rien. Posé seul, le phénomène se retourne contre lui-même et s’élimine. Dès que nous cherchons à le définir, dès que, sans sortir de l’hypothèse, nous essayons de le qualifier, il se décompose sous nos yeux, s’efface graduellement et disparaît.

Où le situer en effet ? Peut-on dire qu’il est dans le temps et dans l’espace ? Non, si le temps et l’espace impliquent des relations et sont des synthèses. Est-il multiple ? Il ne peut l’être ni pour une pensée ni pour lui-même, car, dans l’un et dans l’autre cas, l’absolu de la diffusion doit recevoir, ne fût-ce qu’au degré le plus humble, la