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EVELLIN. — la pensée et le réel

Usons pour cela du procédé familier au géomètre, et supposons pour un instant que le problème ait été résolu contre nous. L’esprit, désormais convaincu que l’idée de l’être est pure chimère, a exclu l’être de ses spéculations et de ses recherches. Seul le phénomène demeure ; seul il occupe tout le champ abandonné par son rival. Y a-t-il rien là de contradictoire.

Non, à première vue peut-être ; oui, à la réflexion et en fait.

C’est ce qu’on se propose d’établir.

Remarquons d’abord qu’en posant ainsi le phénomène, on est déjà sorti de l’hypothèse, tant l’hypothèse est irrationnelle et violente. Peut-on poser quoi que ce soit sans agir et agir sans être ? Il faut alors donner être et vie à la pensée. Mais c’est là restaurer l’esprit et oublier qu’en lui, comme hors de lui, le réel a présent n’a plus de place. Quoi ! l’être que j’aurais supprimé serait devenu ma propre essence, et, l’ayant rejeté de mon horizon, je le retrouverais par la conscience en moi-même ! Non, ou le phénomène n’est plus seul au monde, ou l’esprit, après tout le reste, doit se dissoudre en une poussière d’états inertes et sans lien. S’il ne laisse l’existence qu’à ce qui passe, si, dans l’infini du vide, il ne veut plus voir flotter que des ombres, il se refuse à lui-même le droit d’être, car il est lui-même objet de pensée, et, s’il n’est pas vraiment, il ne peut rien construire ni rien poser.

Allons donc jusqu’au bout de la doctrine et décidons qu’en toute rigueur le phénomène sera seul. Comment alors et en vertu de quel acte ou de quel décret sera-t-il ? L’esprit n’est plus là pour le mettre au jour, car il faut, dans l’hypothèse, que l’esprit, ou ce qui en reste, soit un produit, non une cause. Le phénomène doit donc se poser lui-même. Mais, s’il se pose, où prend-il l’activité qui le fait être ? où, l’énergie qui décide de son avènement à l’existence ? Produit en quelque sorte du dedans, il est clair qu’il ne peut trouver qu’en lui le ressort nécessaire à sa production. Il est donc. Ce n’est plus un effet, mais un principe, principe agissant, partant réel.

Ainsi exclu de l’objet d’abord, du sujet ensuite, l’être, en dépit de tout, reparaît toujours, et se fait reconnaître, quoi qu’on fasse, au signe non équivoque de l’action. On l’a banni de son domaine propre ; il se retrouve inattendu dans le phénomène ; il le pénètre, et, en le pénétrant, il le transfigure.

Pour arriver à cette conclusion, il n’est pas même nécessaire de remonter au delà du fait présent et de demander au phénomène son extrait d’origine et sa raison d’être. Il existe, dit-on, et existe seul. Nous ne voulons rien de plus. Qu’est-ce en effet, dans cette donnée, que le phénomène qu’on nous propose ? Toute autre chose assuré-