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voua à une sorte d’opposition rythmique les formes inférieures de la pensée, mais pour préparer les voies à la raison et lui assurer une victoire décisive. À elle de réconcilier les contraires, de poser, en communion avec la nature, ses synthèses objectives, et de faire reconnaître enfin sa portée métaphysique aux caractères de l’harmonie et de l’unité.

Peut-être sera-t-on tenté de croire qu’une philosophie en tout opposée à l’idéalisme, celle de l’expérience et des sens, fait exception à la règle, et que, sans foi à l’invisible, sans horizon sur l’être en soi, les penseurs qui la représentent se taisent dans ce concert des grands esprits. Il n’en est rien. Hume, Spencer, et tant d’autres, après avoir retranché à la pensée et relégué dans le ciel de l’inconnaissable tout ce qui porte la marque de l’absolu, n’ont rien de plus à cœur que d’essayer de ressaisir ce qu’ils s’étaient promis de sacrifier. C’est la croyance, dans leur doctrine, qui hérite des pouvoirs de la raison. Seule, s’il faut se ranger à leur avis, la croyance a le droit de nous introduire dans ces hautes régions du réel d’où l’âme ne se laisse point exiler. Mais qu’est-ce donc que la croyance et quelle idée mettre sous ce terme mal défini ? Si elle demeure individuelle et arbitraire, on ne peut songer à en faire dépendre les vérités les plus nécessaires et les plus solides ; si, au contraire, elle enveloppe des motifs, c’est qu’elle est pénétrée de pensée, et alors nous croyons pour des raisons d’une valeur universelle, soit que nous en saisissions la portée et que nous puissions les soumettre à l’analyse, soit que, cachées dans la partie la plus reculée de l’âme, elles ne se trahissent que par ces tendances profondes, génériques, irrésistibles, que Pascal, Jacobi, et, parmi nos contemporains, d’éminents esprits[1] ont signalées et auxquelles nous donnons après eux le nom de foi instinctive ou de sentiment.

L’accord de penseurs si opposés par leurs conceptions initiales et si diversement orientés a de quoi surprendre ; pourtant, lorsqu’on y réfléchit, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’il a sa raison d’être dans de formelles et invincibles exigences de l’esprit. Par une loi sur laquelle on ne saurait trop attirer l’attention, le réel, que le principe de connaissance relative voudrait bannir à jamais de la pensée, résiste à tous les efforts, déconcerte toutes les tentatives, et se pose quand même. C’est là un fait capital, un fait qu’il importe avant tout de dégager, si l’on veut restituer à la métaphysique le plus caché, mais aussi le premier et le plus solide de ses titres.

  1. V. surtout un article de M. Ravaisson dans la Revue des Deux Mondes, sous ce titre : la Philosophie de Pascal (15 mars 1887).