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EVELLIN. — la pensée et le réel

cipes nouveaux et d’analyses plus approfondies, des titres jusque-là presque toujours respectés, elle ne put, malgré ses efforts, l’envelopper tout entière dans la même sentence d’interdit. Une de ses parties, en dépit de tout, restait indemne. Kant, on le sait, réserva à la raison pure pratique le droit d’entretenir des relations avec l’absolu. C’est sur elle qu’il voulut fonder ces hautes réalités de la liberté et du devoir qui gouvernent la vie humaine. Il fit plus : il affirma qu’elle devait servir de point d’appui à la réalité tout entière. Qu’une telle base puisse suffire à la totalité des existences, qu’elle soit assez large pour porter le monde, morale et nature à la fois, c’est ce dont il est permis de douter, et sur ce point nous tenons à faire dès maintenant d’expresses réserves. Toujours est-il que le philosophe qui a instruit avec le plus de rigueur le procès de la pensée pure s’est vu contraint de reconnaître et de déclarer qu’elle échappe par certains côtés à la critique même. C’était, avec des restrictions qui ne résistent pas, croyons-nous, à l’analyse, donner raison à cette foi universelle qui veut que, dans son fond et dans ce qui est le meilleur d’elle-même, la pensée embrasse autre chose que des fantômes et soit enfin sauvée de l’illusion. Sur ce point, l’idéalisme le plus décidé est d’accord, qu’il le veuille ou non, avec la philosophie de la raison pure. Avant Kant, Berkeley, Fichte après lui, posent comme vraie en soi, l’un la réalité des esprits individuels, l’autre, celle de l’esprit unique, et ils ne peuvent la poser comme telle qu’au nom de quelque faculté supérieure qu’ils prennent cette fois au mot et ne discutent plus. Ils réduisent le domaine de l’être : soit, ils n’en affirment pas moins l’être lui-même, et cela suffit. Il faut bien qu’ils croient alors, et d’une foi sinon aussi banale du moins aussi ferme que celle du vulgaire, que l’être et la pensée se rencontrent. Hégel, dont la doctrine est l’expression la plus complète et la plus achevée de l’idéalisme, n’échappe point à cette loi. Il semble à première vue que l’être, dans la logique, soit sacrifié à l’idée. N’en croyons rien. L’être caché sous l’idée fait de l’abstraction même une force active et vivante qui va progressant sans cesse et s’épanouissant en phénomènes de plus en plus riches. Mais ce devenir progressif et fécond c’est pour Hégel l’absolu. Il l’affirme et sa doctrine n’est intelligible que s’il est posé comme tel. Nous voilà revenus à notre proposition fondamentale. On peut remarquer d’ailleurs que c’est le philosophe le plus franchement idéaliste qui a revendiqué avec le plus de force les droits méconnus ou contestés de la raison. Kant l’avait opposée à elle-même dans des antinomies devenues fameuses. Hégel, par une vue de génie, fit de l’accident la loi, et de ce qui avait été le scandale de la logique, le fond et comme la trame d’une logique plus haute. Il