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à condition qu’elle soit provisoire, qu’enfin ses fonctions les plus hautes vont, librement et sans plus trouver d’obstacle, à leur fin qui est le vrai. Voilà le minimum de ses prétentions, mais, dans ce dernier retranchement, elle se sent et se déclare inexpugnable. Il faut suivre la lutte engagée depuis des siècles entre une logique toujours plus pressante et cette foi profonde qui cède sur le détail, mais refuse, avec une puissance de conviction incoercible, de sacrifier l’essentiel. Ses phases principales se reproduisent d’ailleurs en chacun de nous. Un esprit encore sans culture croit que les choses sont comme il les voit. Mieux informé, il cède le terrain, mais pas à pas et en faisant ses réserves. Il sent, il croit qu’au delà de l’intuition sensible, quelque élément supérieur de la pensée échappe à la fatalité de l’illusion. S’il lui faut prendre son parti d’un fait, l’erreur dont il constate bon gré mal gré l’existence dans le champ de la représentation n’est pour lui qu’un accident, et il affirme qu’on en pourra un jour rendre compte par quelque nécessité mal démêlée encore, mais explicable, qui n’atteint pas dans sa situation privilégiée la raison elle-même ; et cela est si vrai, que, tout en écartant le fait sensible, c’est de la raison qu’il s’autorise pour lui substituer l’hypothèse objective du mouvement. Il ne renonce donc un moment aux suggestions de la pensée que pour rendre à la pensée un plus éclatant hommage. Elle reste juge en dernier ressort. Si maintenant on le presse de difficultés nouvelles, si on lui objecte que l’erreur est envahissante et peut, de degré en degré, atteindre les sommets de l’intelligence, il proteste avec une suprême énergie et refuse d’ériger en loi absolue un mal partiel ou, pour mieux dire, un semblant de mal qui, vu de plus haut et mis en un meilleur jour, peut et doit devenir un bien relatif. Ce qui, d’aucune façon, ne saurait entrer dans l’esprit, ce qui est et sera toujours pour lui une pierre d’achoppement et un scandale, c’est l’hypothèse violente, irrationnelle, d’une pensée viciée à sa source et dans son essence, vouée par nature, tout entière et sans appel, à l’erreur.

Sur ce point, on peut le dire, la spéculation métaphysique est, sans distinction de doctrines, unanime à lui donner raison. Ses plus illustres représentants, par un accord d’autant plus significatif qu’il est plus rare, donnent tous à ce premier et essentiel acte de foi l’appui de leurs convictions réfléchies. Pour ne citer que quelques noms, Platon, Aristote, dans l’antiquité, et dans les temps modernes, Descartes, Spinoza, Malebranche, Leibniz, ont accepté sans la moindre arrière-pensée et tenu pour décisif le témoignage arbitral de la raison. Plus tard, lorsque des doutes s’élevèrent sur sa portée objective, lorsque la philosophie critique vint contester, au nom de prin-