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LA PENSÉE ET LE RÉEL[1]


La science est une et, malgré les plus nobles tentatives du génie, la métaphysique demeure divisée en elle-même et multiple. Voilà l’acte d’accusation porté depuis des siècles contre la philosophie première, et il ne paraît pas aujourd’hui encore qu’il soit victorieusement écarté. Le champ du relatif, il faut en convenir, s’ouvre peu à peu et s’éclaire. Sans doute, l’investigateur qui y pénètre n’y marche qu’avec précaution et pas à pas, mais il avance, parce qu’en y pénétrant avant lui, la méthode y a tracé des chemins. Il semble, au contraire, que le domaine de l’absolu soit celui des entreprises aventureuses et des conquêtes stériles. Quelle doctrine y peut espérer le lendemain ? Quelle opinion y a passé jamais pour pleinement acquise ou définitivement rejetée ? Les systèmes se montrent un instant sur cette scène mobile, puis s’éclipsent pour reparaître bientôt sous une autre forme. Partout le mouvement en sens divers, la ligne brisée ou le circuit au lieu de la ligne droite, et après l’avance le recul. On dirait que le monde des phénomènes, tant de fois décrié par la spéculation pure, est le seul pénétrable à l’harmonie des idées et à la concorde. Celui de la réalité et de l’être paraît voué à une anarchie radicale et sans remède.

Et pourtant la métaphysique n’abdique pas. Que dis-je ! sa foi en ses destinées n’a jamais été plus ferme et plus fière. Rayée de la liste des connaissances positives, elle se réfugie dans la croyance où elle se retrouve moins contestée et mieux assise. Suspecte à la logique de l’entendement, elle se retourne contre cette logique même, soit qu’elle refuse à de simples liaisons d’idées le droit de représenter le jeu des énergies naturelles et le drame réel de l’existence, soit qu’elle oppose aux raisons de l’esprit ces déci-

  1. Cet article et un ou deux autres qui peuvent suivre doivent servir d’introduction à un ouvrage qu’on se propose de publier sous le titre : la Raison pure et les Problèmes du Réel.