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« Il résulte de la date inscrite en tête, que cette lettre, très proprement écrite et sans la moindre rature ni surcharge, a dû être faite dans un intervalle de temps qui n’a pu excéder quatre à cinq minutes au plus.

« Un autre fait plus récent constate plus évidemment encore l’incroyable rapidité avec laquelle Janicaud rédige et écrit dans son état de somnambulisme. Vers la fin de décembre dernier, j’indiquai aux élèves-maîtres, au moment du coucher, le sujet qu’ils auraient à développer le lendemain pendant l’étude du matin comme sujet de style. Un des élèves se doutant que Janicaud se réveillerait pour faire sa composition, se munit avant de monter au dortoir d’un crayon et de feuilles de papier. Vers 10 heures et demie en effet, le somnambule se lève sur son lit ; mais se voyant enchaîné par le pied, il prie un de ses camarades de descendre en étude et de lui apporter une plume, du papier et de l’encre. L’autre lui présente une feuille et le crayon dont il s’était muni. Le somnambule plie la feuille de papier sur le traversin de son lit et ramène la couverture sur ses épaules pendant que le maître adjoint et une dizaine d’élèves se groupent autour de son lit dans l’obscurité ; puis, le bonnet de coton enfoncé jusqu’au menton[1], Janicaud se met à l’œuvre. Il prononçait à haute voix ce qu’il écrivait et, quoiqu’il parlât avec une certaine volubilité, le crayon suivait la parole. En quelques minutes les deux pages furent remplies. On enleva alors la feuille, sur laquelle, au grand étonnement de tous, se trouvait en écriture très lisible tout ce qui venait d’être prononcé par le somnambule.

« L’extrême maigreur dans laquelle était tombé le pauvre Janicaud inspirant des craintes de plus en plus sérieuses pour sa santé et même pour son état moral, ce jeune homme fut, sur votre avis, monsieur le Docteur, envoyé dans sa famille vers le 10 août pour s’y rétablir par l’exercice et la distraction. Pendant les deux mois qu’il y passa, à Saint-Sylvain, il n’éprouva, en effet, que quelques accès, et dans les premiers jours seulement. La crise du surlendemain de son arrivée dans sa famille mérite cependant d’être rapportée ici. S’étant levé pendant la nuit, il dit à son beau-frère, qui l’avait accompagné, qu’il voulait aller à la pêche. Comme la nuit était très sombre, M. Simonet employa tous les moyens possibles pour le décider à renoncer à son projet. Il lui proposa d’aller ensemble faire une visite à l’instituteur de Saint-Sylvain, leur parent, dont la demeure était éloignée d’un kilomètre environ. Le somnambule ayant accepté cette proposition, on se met en

    eurent pris connaissance de cette lettre, M. Badaire y joignit un mot qui faisait connaître au destinataire l’indiscrétion commise et lui en donnait l’explication ; celui-ci, dès le lendemain, envoya à son ancien directeur une copie de cette lettre.

  1. Ses condisciples l’ayant plusieurs fois taquiné, l’accusant de jouer la comédie du somnambulisme, tandis qu’il voyait avec ses yeux comme à l’état de veille, J. ne voulant pas être soupçonné de mauvaise foi, enfonçait ainsi son bonnet jusqu’au menton dès le commencement de ses accès de somnambulisme.