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société de psychologie physiologique

bien extraordinaire : c’était un des élèves-maîtres de l’école de Guéret qui, presque chaque soir, après une heure ou deux de sommeil normal, entrait en somnambulisme et exécutait en cet état des actes qui excitaient la stupéfaction de ses professeurs et de ses camarades, actes dont un certain nombre d’habitants de la ville ont été, sur leur demande, rendus témoins.

M. le Dr Cressant, médecin de l’établissement, s’est fort intéressé à cet élève et avait prié le directeur de lui rédiger à son sujet un rapport qu’il se proposait d’adresser à l’Académie des sciences. M. Badaire[1] a eu l’obligeance de me copier ce rapport sur son registre de correspondance, et je ne saurais mieux faire que de le mettre in extenso sous les yeux de la Société.

Guéret, le 5 février 1860.
« Monsieur le Docteur,

« Conformément au désir que vous m’en avez exprimé, j’ai l’honneur de vous adresser une note sommaire de quelques-uns des phénomènes de somnambulisme naturel que nous avons eu lieu d’observer chez le jeune Janicaud Théophile, élève-maître à l’école normale de la Creuse.

« D’après les renseignements qui m’ont été fournis par M. Simonet, son beau-frère, maître adjoint à l’école normale, Janicaud aurait éprouvé vers l’âge de huit à dix ans des accès assez fréquents de somnambulisme. Depuis cette époque les accès cessèrent à peu près complètement jusqu’à l’âge de dix-neuf ans.

« Pendant la première année de son séjour à l’école normale, nous n’avons, en effet, rien remarqué chez cet élève qui méritât de fixer notre attention d’une manière particulière. Mais, à l’époque des grandes chaleurs qui eurent lieu durant les mois de juin et juillet 1859, l’état du jeune Janicaud changea subitement, et les accès de somnambulisme se succédèrent chez lui chaque nuit avec une fréquence qui devint bientôt alarmante pour sa santé. En quelques semaines ses traits s’altérèrent au point de le rendre presque méconnaissable, même pour les membres de sa famille. Ses yeux devinrent caves, fatigués et hagards ; une grande maigreur succéda rapidement à un état de force et de santé robuste et florissant. Tous les soirs, au moment du premier sommeil, il se levait de son lit, se promenait dans le dortoir, descendait en étude pour y travailler dans l’obscurité, ou bien allait se promener dans le jardin durant des heures entières, après quoi il retournait à son lit. Il avait alors toutes les apparences de l’état de veille, sauf un timbre tout particulier de la voix quand il chantait ou répon-

  1. D’après les informations que j’ai prises au secrétariat de l’Institut. M. le Dr Cressant n’a pas mis son projet à exécution. Comme moi, et comme bien d’autres médecins probablement, il a reculé devant la réprobation que ces questions soulevaient alors dans le monde savant officiel.