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— À coups de gouet. »

On nomme ainsi dans le Loir-et-Cher une sorte de hachette à manche court, à lame large et allongée, recourbée en bec de perroquet à son extrémité. C’est un instrument très employé à la campagne, surtout par les tonneliers et les bûcherons. Et c’était, en effet, un gouet que j’avais désigné dans mon rapport médico-légal comme étant probablement l’arme dont le meurtrier s’était servi.

Jusqu’ici les réponses de Marie ne nous avaient rien appris que nous ne sussions à l’avance. À ce moment le juge d’instruction me tira à l’écart et me souffla à l’oreille que le gouet n’avait pas été retrouvé.

« Et qu’a-t-il fait de son gouet ? demandai-je.

— Ce qu’il en a fait ?… attendez,… il l’a jeté dans une mare,… je le vois très bien au fond de l’eau. »

Et elle indiqua assez exactement le lieu où se trouvait cette mare pour qu’on pût y faire des recherches le jour même, en présence d’un brigadier de gendarmerie, et y découvrir l’instrument du crime.

Nous n’avons connu ce résultat que dans la soirée, mais déjà le scepticisme des magistrats était fort ébranlé. Je leur demandai s’ils voulaient mettre à profit la lucidité de notre somnambule pour éclairer l’instruction de certaines affaires obscures : ils refusèrent, trouvant déloyal d’employer un moyen de recherche qui ne serait pas à la disposition de la défense. Ce scrupule, honorable à première vue, me sembla exagéré cependant, car l’intervention de la somnambule pouvait aussi bien conduire à reconnaître un innocent qu’à découvrir un coupable. Quoi qu’il en soit, pour satisfaire leur curiosité, je priai la sœur d’aller emprunter à quelques-unes des condamnées un petit objet leur appartenant, comme une bague, une boucle d’oreille… et d’en faire des paquets dissimulant bien la forme de l’objet. Elle s’y prêta avec intelligence, quoiqu’elle ne vit pas d’un bon œil ces pratiques qui lui semblaient œuvre de Satan. Et Marie nous fit le récit exact des faits qui avaient motivé la condamnation de chacune des détenues.

Cette fille a quitté le pays. J’ai entendu dire qu’elle s’était mariée. Il serait intéressant de savoir si elle est encore — dois-je écrire douée ou affligée ? — de somnambulisme, spontané ou provoqué, et si ses enfants ont hérité de cette névrose.

III

Les faits de vision mentale — ou double vue, ou lucidité magnétique que je viens de rapporter se sont passés dans l’état de somnambulisme provoqué ; ceux qui vont suivre ont été observés dans des accès de somnambulisme spontané.

Un de mes concitoyens, M. Badaire, ancien directeur d’école normale, à Guéret d’abord, puis à Blois, ayant lu dans un journal un extrait de ma communication à la Société de psychologie physiologique, est venu dernièrement me dire que lui aussi avait connu un somnambule