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société de psychologie physiologique

C’est à la prison de Blois que nous retrouvons Marie, dans les circonstances que j’ai déjà fait connaître. Par suite des formalités judiciaires, les portes ne s’étaient pas ouvertes pour elle le jour même où son innocence avait été constatée. Le lendemain, on était venu me chercher de grand matin à l’occasion d’un suicide qui venait d’avoir lieu. Un détenu, accusé d’assassinat, s’était étranglé avec sa cravate dont il avait attaché l’une des extrémités au pied de son lit fixé dans le sol. Couché à plat ventre sur la dalle du cachot, il avait eu le courage de se pousser en arrière avec les mains jusqu’à ce que le nœud coulant de la cravate eût produit la strangulation. Le corps était déjà froid lorsque j’arrivai, en même temps que le procureur et juge d’instruction.

Le procureur, à qui le juge d’instruction avait raconté la scène de somnambulisme de la veille, manifesta le désir de voir Marie, et je lui proposai de profiter de ce qui venait d’arriver pour interroger cette fille sur le criminel qui s’était fait justice lui-même. Les magistrats acceptèrent avec empressement ma proposition. Je coupai un morceau de la cravate et l’enveloppai de plusieurs feuilles de papier que je ficelai fortement.

Arrivés au quartier des femmes, qui venaient de descendre du dortoir, nous priâmes la sœur gardienne de mettre son cabinet à notre disposition ; je fis signe à Marie de nous suivre, sans lui dire un seul mot, et je l’endormis par une simple application de la main sur le front. Je tirai alors de ma poche le paquet préparé et le lui mis entre les mains.

Au même instant, la pauvre fille bondit sur sa chaise et rejeta au loin avec horreur ce paquet, criant avec colère qu’elle ne voulait pas « toucher à cela ». Or, on sait que dans les prisons les suicides sont tenus secrets le plus longtemps possible ; rien n’avait encore transpiré dans l’intérieur de l’établissement du drame qui venait de s’accomplir ; la religieuse elle-même l’ignorait.

« Qu’est-ce que vous croyez donc que ce papier renferme ? demandai-je, quand le calme fut un peu revenu.

— C’est quelque chose qui a servi à tuer un homme.

— Un couteau peut-être ? ou un pistolet ?

— Non, non, une corde,… je vois,… je vois,… c’est une cravate… ; il s’est pendu… Mais, faites donc asseoir le monsieur qui est derrière moi, car il tremble si fort que ses jambes ne peuvent plus le porter. (C’était l’un des deux magistrats qui était si ému de ce qu’il voyait qu’il tremblait, en effet, de tous ses membres.)

— Pourriez-vous dire où cet événement s’est passé ?

— Ici même, vous le savez bien… C’est un prisonnier…

— Et pourquoi était-il en prison ?

— Pour avoir assassiné un homme qui lui avait demandé à monter dans sa charrette.

— Comment l’avait-il tué ?