Agitation. Pâleur du visage. Quelques nausées.) Êtes-vous bientôt arrivée ?
— J’arrive, mais j’ai été bien fatiguée, et je ne vois personne au bord de l’eau.
— Débarquez et avancez ; vous finirez par rencontrer quelqu’un.
— Voilà, voilà,… j’aperçois du monde,… rien que des femmes en blanc. Ah ! mais non, au contraire, ils ont tous de la barbe.
— Eh bien ! abordez-les et priez-les de vous indiquer où vous trouverez le monsieur militaire.
— (Après un silence.) Ils ne parlent pas comme nous ; il a fallu que j’attende qu’on appelle un petit garçon à calotte rouge, avec qui j’ai pu m’entendre. Il m’a conduite lui-même, et pas vite, parce que nous marchions dans du sable.
— Et le monsieur ?
— Le voilà. Il a un pantalon rouge et une casquette d’officier. Mais qu’il a mauvaise mine et qu’il est maigre ! C’est malheureux qu’il n’ait pas pris de votre médecine[1].
— Vous dit-il ce qui a causé sa maladie ?
— Oui, il me montre son lit, trois planches sur des piquets, au-dessus d’un sable humide.
— Allons, merci, conseillez-lui d’aller à l’hôpital où il sera mieux couché, et revenez à Blois.
— (Avec grande animation.) Il est bien temps que j’arrive, car vous ne vous apercevez pas que l’aubergiste donne à son cheval l’avoine que nous avons apportée pour Bichette[2]. »
Je priai alors mon confrère d’ouvrir la lettre et d’en donner lecture. Ce n’est pas lui qui fut le moins stupéfait de la société : le succès avait dépassé ses espérances.
On ne peut pas dire que Marie avait lu dans sa pensée à lui qui ignorait le contenu de la lettre. (Il a soupçonné, nous dit-il, plus tard, qu’elle venait d’Alger, lorsque la somnambule a eu des nausées.) Dira-t-on qu’elle avait vu ma pensée à moi, avec qui d’ailleurs elle n’avait pas été mise en rapport, ayant seulement entendu dire que je devais venir à cette séance, où elle ne me vit pas avant d’être magnétisée ? Combien inutiles paraîtront maintenant ces précautions minutieuses d’un bandeau bien adhérent sur les yeux des somnambules véritables dont il s’agit de mettre la lucidité à l’épreuve.
Était-il même nécessaire que Marie eût entre les mains la lettre mystérieuse ? N’en eût-elle pas lu, ou plutôt senti le contenu tout aussi bien si cette lettre eût été dans ma poche, ou même chez moi, sur mon bureau, ou ailleurs ?
Voilà des expériences à faire. Mais continuons.