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société de psychologie physiologique

d’être très éprouvée. Il avait couché sous la tente pendant la saison des pluies, ce qui avait déterminé chez lui, comme chez la plupart de ses camarades, une dysenterie violente.

Je plaçai cette lettre dans une première enveloppe sans adresse ni timbre de poste, et en collai soigneusement les bords ; puis j’introduisis le tout dans une seconde enveloppe, de couleur foncée, et fermée comme la première.

Au jour dit, j’arrivai chez Mme D., un peu en retard. Déjà Marie était endormie : elle ignora donc ma présence, sachant seulement que je devais venir. Les dix ou douze personnes réunies dans le salon de Mme D. étaient dans la stupéfaction de ce qu’elles venaient de voir, la somnambule ayant reconnu sans se tromper le contenu de plusieurs paquets préparés par elles-mêmes, comme je l’avais fait de mon côté ; mais je laissai les miens dans ma poche afin d’éviter la monotonie des expériences, me bornant à glisser ma lettre dans la main d’une des assistantes, en lui faisant signe de la faire passer jusqu’à M. Girault. Celui-ci la reçut sans savoir qu’elle venait de moi, et la remit entre les mains de Marie.

Je n’ai pas noté si ses yeux étaient ouverts ou fermés, mais cela n’avait, on le conçoit, aucune importance en pareil cas.

« Qu’est-ce que vous avez dans la main ? demanda le Dr Girault.

— Une lettre.

— À qui a-t-elle été adressée ?

— À M. Dufay.

— Par qui ?

— Par un monsieur militaire que je ne connais pas.

— De quoi parle-t-il dans sa lettre, ce monsieur militaire.

— Il est malade ; il parle de sa maladie.

— Est-ce une maladie que vous pourriez nommer ?

— Oh ! oui, très bien ; … c’est comme celle du vieux boissier de Mesland, qui n’est pas encore arrêtée…

— Très bien, très bien, je comprends,… la dysenterie. Écoutez, Marie, je crois que vous feriez grand plaisir à M. Dufay si vous alliez voir son ami l’officier, pour lui en rapporter des nouvelles certaines.

— Oh, il est trop loin… Ce serait un long voyage.

— Eh bien, partez sans perdre de temps. Nous vous attendons.

(Après un long silence.) Je ne peux pas continuer ma route… Il y a de l’eau, beaucoup d’eau.

— Et vous ne voyez pas de pont ?

— Bien sûr qu’il n’y a pas de pont.

— Il y a peut-être un bateau pour traverser, comme entre Onzain et Chaumont ? (Le pont de Chaumont sur la Loire n’était pas encore construit.)

— Des bateaux,… oui ; mais cette Loire-là me fait grand peur : une vraie inondation !

— Allons, allons, du courage, et embarquez-vous. (Silence prolongé.