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— Un rêve !… Mais je ne dors pas (c’est la prétention de tous les somnambules). Je le vois… Il vient de rendre le dernier soupir… Pauvre garçon ! Voyez-le. »

Et ses yeux se portaient vers un point de l’appartement qu’elle désignait de la main. Elle voulait fuir, mais, à peine soulevée de sa chaise, elle retombait, ses jambes ne pouvant la porter.

Le calme fut longtemps à se produire et, lorsque M. Girault eut réveillé Marie, elle était encore en proie à un grand malaise,… qu’elle attribuait à une mauvaise digestion, n’ayant aucun souvenir de ce qui s’était passé.

À quel propos avait-elle pensé tout à coup au jeune soldat ? On savait dans le bourg que le père était inquiet ; il n’avait pas de nouvelles de son fils. S’en préoccupait-elle par sympathie pour la famille, ou par suite d’un sentiment plus tendre que l’idée du mariage de Mlle de S. aurait ravivé en elle à ce moment ?

Quoi qu’il en soit, le père Limoges fut avisé quelque temps après de la mort de son fils qui avait eu lieu à Dalmate (était-ce le nom d’une ambulance française ?) près de Constantinople, le 15 juin 1855, c’est-à-dire le jour même où Marie en avait eu la vision.

Cela rappelle le récit de Grégoire de Tours, d’après lequel saint Ambroise s’étant endormi en disant la messe dans l’église de Milan, rêva que saint Martin venait de mourir à Tours, ce qui arriva précisément ce jour-là, et à l’heure de la messe.

À quelque temps de là, je reçus la visite du Dr Girault, qui venait me parler de sa parente, Mme D., que je soignais à ce moment. Il venait de la voir, l’avait trouvée convalescente et lui avait conseillé la distraction. Mais Mme D. ne pouvait encore quitter son fauteuil. « Il n’y a qu’une chose qui pourrait me distraire, lui avait-elle dit, c’est que vous ameniez ici votre somnambule et que vous nous rendiez témoins de ces phénomènes incroyables que vous racontez toujours, mais que nous ne voyons jamais. J’inviterai quelques amies aussi incrédules que moi, je vous en avertis. » Mon confrère avait promis et venait me prier, afin qu’on ne pût soupçonner une scène préparée entre lui et sa servante, d’arranger moi-même le programme de la séance, en enveloppant, par exemple, divers objets de manière à en dissimuler la nature, et sans les lui faire connaître à lui-même. Ces petits paquets seraient présentés à la somnambule qui devrait découvrir ce qu’ils contenaient. La chose fut convenue et le jour fixé.

Je venais de mettre de côté quelques objets d’un usage peu ordinaire afin que le hasard servit moins notre voyante, lorsque m’arriva d’Algérie une lettre d’un chef de bataillon d’infanterie que j’avais connu en garnison à Blois. Le commandant me racontait divers épisodes de sa vie au désert et me parlait surtout de sa santé, qui venait