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lesquels je crois avoir pris, afin de m’assurer de leur certitude, toutes les précautions indispensables.

« 1o Vers 1853 ou 1854, j’avais dans ma clientèle une jeune femme hystérique confirmée ; rien de plus facile que de l’endormir par un procédé quelconque ; je crois pouvoir dire qu’en lui tenant la main je lui transmettais des pensées non exprimées par la parole, mais, dans cet ordre d’idées, l’erreur ou la fraude étant possibles, je n’insiste pas.

« Mais la transmission par le seul contact de la main d’une sensation déterminée me paraît absolument certaine ; voici comment j’ai procédé : ayant endormi la jeune femme, et m’étant assis à son côté pour me garer de toute fraude, je me mouchai en me penchant près d’elle et laissai tomber mon mouchoir derrière sa chaise ; alors, me baissant pour le ramasser, j’introduisis prestement dans ma bouche une pincée de sel de cuisine que j’avais, au préalable et à son insu, placée dans la poche droite de mon gilet. Le sel de cuisine étant absolument inodore, il était matériellement impossible que le sujet sût que j’en avais mis dans ma bouche. Or, aussitôt relevé, je voyais le visage de la jeune femme exprimer le dégoût et des mouvements des lèvres se produire : — « C’est bien mauvais, disait-elle, pourquoi m’avez-vous mis du sel dans la bouche[1] ? »

« J’ai répété plusieurs fois cette expérience avec d’autres corps inodores ; elle a toujours réussi. Je ne cite que ce fait parce que je le regarde comme certain. Il en ressort que, dans certaines circonstances, il peut y avoir, par l’intermédiaire de la main, transmission d’une sensation déterminée de l’endormeur à l’endormi. Ce n’est pas à distance, et par la seule force de la volonté, comme pour les faits que vous citez, mais c’est presque cela.

« 2o Un jour, vers 1878 ou 1879, mon vieil ami le Dr M., médecin considérable, membre de l’Académie de médecine de Paris, et le Dr M., dont le caractère et le savoir ont une légitime autorité en médecine légale, me rendirent témoin, dans le jardin de leur maison de santé de Paris, d’expériences qui m’ont vivement frappé ; l’une d’elles est particulièrement restée dans mon souvenir.

« Le sujet était un jeune ouvrier, — qui a eu, je le dis en passant, quelque célébrité, — près d’être condamné en police correctionnelle, pour un prétendu attentat à la pudeur. MM. M. et M. prouvèrent aux juges qu’il était inconscient, ayant agi pendant un accès de somnambulisme spontané, et il fut acquitté. Mais je n’insiste pas ; vous connaissez ce fait, gros de conséquences pour la médecine légale[2].

« Ce jeune homme mis en état de somnambulisme par M. M., nous fîmes diverses expériences qui ne m’ont pas laissé un souvenir assez précis pour que j’en puisse parler ; une seule est restée nettement imprimée dans ma mémoire ; la voici :

  1. Qu’adviendrait-il en pareil cas, si l’expérimentateur voulait mentalement que le sujet éprouvât une saveur sucrée ? (Dr D.)
  2. J’en ai vu un exemple semblable sur lequel je reviendrai plus loin. (Dr D.)