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JANET.introduction a la science philosophique

de victime. De là la doctrine de la Trinité. Sans Trinité, point d’Incarnation ; sans Incarnation, pas de Rédemption, pas de sauveur. Le fini alors serait en face de l’Infini, Rien et Tout, sans intermédiaire. L’homme périrait sans miséricorde et sans secours. Le mal, dans cette hypothèse, serait éternel et absolu. Au contraire, la doctrine du Rédempteur rouvre le chemin du ciel et ramène la joie et l’espoir dans le monde : « Une immense espérance a traversé la terre. » Tel est le sens philosophique de la Rédemption. Sans doute un Dieu qui meurt et qui meurt pour l’homme est quelque chose d’incompréhensible ; on l’admet volontiers : c’est pourquoi c’est un mystère ; et même, en se plaçant au point de vue rationaliste, on peut dire que c’est un mythe. Mais enfin, ce n’est pas un non-sens. Nous comprenons l’idée de Dieu ; nous comprenons l’idée de mort et de douleur, l’idée d’expiation : c’est encore ici le lien des idées qui nous échappe. Néanmoins la pensée d’une rédemption et d’une réparation divine, prise en soi, est au fond une pensée philosophique qui répond à un problème de l’esprit : c’est la solution du problème du mal. La solution sceptique est désespérante ; la solution optimiste paraît froide et faible. La solution chrétienne a une grandeur qui a séduit un Pascal, un saint Augustin. Elle n’est donc pas quelque chose de si médiocre ; et il n’y a que les petits esprits qui pourraient se croire le droit de la regarder d’en haut.

En un mot, pour nous résumer, les trois grands mystères chrétiens constituent un système de métaphysique qui répond à trois grandes questions : 1o Comment l’un peut-il s’unir au plusieurs ? 2o Comment l’infini peut-il entrer en rapport avec le fini ? 3o Quelle est l’origine du mal et quelle en est la fin et la consommation ?

Le nœud du système est dans l’idée du Médiateur. L’esprit est placé en face de ce dilemme : ou pas de Dieu ; — ou un Dieu infiniment éloigné de l’homme, un Dieu indifférent, abstrait, reposant, comme disait Cousin, « sur le trône de son éternité solitaire ». Des deux côtés, l’homme est seul et sans espoir. La métaphysique chrétienne offre un milieu, un moyen terme. Elle unit l’homme à Dieu par le mystère de l’homme-Dieu. Dieu n’est plus un Dieu mort ; le monde n’est plus une nature maudite, Dieu est humain ; le monde est divin. L’homme est le sanctuaire où s’opère le miracle de la divinisation du fini. Tel est le sens de la métaphysique chrétienne, qui semble avoir cherché une solution différente et du déisme et du panthéisme, et les absorber l’un et l’autre, selon la méthode hégélienne, dans une conception supérieure.

Nous résumerons donc cette première partie de notre thèse par cette proposition : Les mystères de la religion renferment une méta-