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correspondance

à ce sujet, puisqu’il proposait, non des explications, mais des faits : ces faits, d’expérience toute subjective si l’on peut dire, on en a montré le caractère imaginaire ; c’est ce qui les soustrait à une vérification précise. Il me semble pourtant que M. Léchalas fait lui-même intervenir (p. 50) les variations de la distance apparente : il a été plus ingénieux qu’il ne pense. Il n’est pas loin d’admettre que nous voyons l’astre pour ainsi dire d’un double regard, animal et intellectuel, passif et réfléchi. C’est ainsi que la lune peut sembler à la fois plus éloignée et plus proche : à l’horizon, ces perceptions opposées se concilient ; dans l’appréciation des dimensions, il y a addition, parce qu’en effet c’est le plus court des deux regards, le regard animal qui paraît s’allonger, tandis que l’autre s’accourcit. En l’air, la divergence au contraire se marque davantage, il y a retranchement.

Enfin, je n’ai pas prétendu que « les nuées causent toujours un amoindrissement de l’astre » ; j’ai parlé de l’effet le plus ordinaire qu’elles produisent, mais en montrant que les résultats les plus imprévus et les plus opposés sont également possibles. Loin d’exclure plusieurs explications compatibles (irradiation et distance variables), il semble que parfois il en faille admettre plusieurs contraires : tant il y a, dans nos moindres perceptions, d’associations combinées et d’arguments noués. C’est sans doute ce que je n’avais point fait assez entendre car le détail des analyses importe moins que le principe d’où elles procèdent. Ce principe, je le résume en ces trois propositions : 1o La perception sensible a un caractère systématique et même syllogistique : comme il y a pour les corps des membres proportionnels et des équivalents définis, comme chaque organisme vivant possède une chimie digestive qui lui est propre, de même, chez l’homme, la nutrition intellectuelle : elle s’accomplit déductivement ; les impressions accumulées ne forment pas plus une perception, qu’un amas d’aliments mêlés ou combinés ne constitue un organe. 2o Les données sensibles ne s’imposent à nous avec rigueur et nécessité que parce qu’elles résultent d’une élaboration logique ; et la seule logique du nécessaire, c’est la déduction. 3o Quel que soit le caractère déjà rationnel de la perception, la science est encore d’une autre nature ; elle n’est pas absolument déductive, elle est démonstrative : ainsi la chimie organique n’est pas encore la biologie. L’expérience a besoin d’une vivification nouvelle et d’une transformation pour ainsi dire créatrice, afin de participer à la vérité scientifique. L’organisme, pour maintenir l’unité de la vie, doit rejeter les éléments qu’il n’assimile point ou les poisons mêmes qu’il a produits : de même, dans les données expérimentales, il y a des matériaux à éliminer, du déchet ; et la perception illusoire qu’on vient d’étudier en est une preuve.

Maurice Blondel.