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offre, semble appartenir à une sphère très étendue dont nous sommes le centre. En même temps le haut du ciel est comme aplati, c’est-à-dire qu’il paraît faire partie d’une sphère, plus grande encore, mais dont nous n’occupons plus le centre, reporté plus bas, parce qu’elle nous importe moins. Or, si l’on s’approche d’une surface sphérique, à mesure qu’elle paraît plus grande, on en voit une moindre portion ; et comme l’astre, en l’air, tient un minime espace de cette moindre partie, il est d’autant plus amoindri que le ciel semble plus vaste et plus vide : nouvel exemple de géométrie spontanée. Il est d’ailleurs impossible de définir la surface qui paraît limiter la vue, parce que le raccord des deux courbes est pour ainsi dire insaisissable et parce qu’il varie suivant le degré de lumière et l’état de l’atmosphère : tantôt « le ciel est bas », s’il y a des nuages sombres ou une buée lumineuse ; tantôt plus haut, et comme approfondi par l’obscure clarté d’une nuit étoilée ou la transparence d’un air pur et brillant.

Je n’ai pas attribué à Malebranche la pensée qu’il suffit toujours de cacher les points de repère pour détruire l’illusion (bien que ce soit vrai dans l’expérience du cylindre creux, dans celle du verre noirci, et parfois encore si l’on accule l’astre dans l’angle aigu d’une encoignure). J’ai dit que, ayant considéré uniquement les causes particulières qui influent directement sur la distance apparente, il n’a pu expliquer un fait incontesté : l’agrandissement du disque, à l’instant où il surgit derrière un mur. J’ignorais que Malebranche eût tenté de lever la difficulté, mais, à mon sens, il n’y avait pas réussi : on ne peut en effet prétendre, comme il l’a fait, que, si l’on a caché l’horizon « sans éclipser le ciel, la voûte apparente du ciel, paraissant presque plate, doit causer à peu près la même apparence que les terres interposées ». Car d’un jugement général sur la forme du ciel, il nous ramène à la considération de rapports particuliers : si le firmament, seul et vide, pouvait nous fournir des points de repère, pour l’astre à l’horizon, aussi bien que « les terres interposées », pourquoi n’en fournirait-il plus ailleurs ? Afin de sortir d’embarras, il faut donc recourir à une habitude systématique de l’esprit.

En ce qui concerne l’effet des nuées qui éclipsent à demi le soleil ou la lune, M. Léchalas soulève une difficulté. Mais je ne parviens pas à concilier ces deux affirmations auxquelles il s’arrête : 1o « La diminution de l’irradiation suffit amplement à expliquer l’amoindrissement de l’astre, à travers un brouillard. 2o Le brouillard produit sur la grandeur apparente du disque des effets très variables suivant les conditions de l’observation. » Or, dans tous ces cas, même et surtout quand les masses flottantes de la brume sont pénétrées de lumière diffuse, l’irradiation relative de l’astre est moindre ; parfois cependant son disque semble « assez gros » ; donc l’irradiation, à elle seule, ne rend pas amplement compte des faits ; donc il faut bien chercher d’autres explications, quelque « ingénieuses » qu’elles soient. Du reste, je n’ai point songé à « infirmer ce qu’avait dit » et bien dit M. Léchalas