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notices bibliographiques

C’est une erreur, à mon sens, que d’attribuer aux grands poète s un tel souci de la justice poétique, qu’il les ait guidés dans la création de leurs figures. Hettner a raison, je le veux bien, quand il nous dit que la tragédie représente la nécessité intérieure de l’ordre moral du monde. Nous régions naturellement le monde que nous voyons ; le plaisir dramatique n’existe plus, si notre tendance morale est contrariée ou si seulement elle n’est pas satisfaite. Est-ce pourtant que Sophocle aurait songé, dans l’aventure d’Œdipe, à châtier ce prince pour son entêtement, ou à mesurer ses malheurs aux vices de son caractère ? Shakspeare aurait-il vraiment puni Cordelia d’avoir armé contre sa patrie le roi français, « l’ennemi héréditaire » ? Aurait-il montré Desdemona sensuelle, pour diminuer notre pitié ? Iago rappelle la faute de Desdemona, afin d’exciter la jalousie d’Othello. Je ne vois là qu’un moyen dramatique, trouvé dans la donnée même des caractères ; l’événement est conforme à cette donnée, il est construit sur les passions des personnages et il suffit enfin que le poète ait produit en nous l’émotion pure de l’art. Shakspeare n’accuse pas plus les dieux qu’il ne les excuse ; si son drame est compris nécessairement dans un système moral, il n’est pas le poète, pour cela, de l’ordre moral du monde. Notre philosophie à nous lui vient en surcroît, quand elle profite de son observation.

C’est une excellente remarque de M. Reich, que la tragédie introduit la justice dans la vie, si elle y manque, afin d’en achever la beauté. La tragédie, écrit-il encore, n’explique pas le monde pour les penseurs, mais pour le vulgaire ; tout spectateur, au théåtre, devient peuple. Les conditions mêmes de son art interdisent au dramaturge d’aller au delà de la vie présente, au delà des faits ; il ne spécule pas dans l’absolu, encore moins a-t-il souci de nous encourager à vivre ou de nous décourager d’être. Au sens de la vraie philosophie, a dit Grillparzer, le poète unit la joie naïve de l’enfant.

M. Reich, certainement, estime l’art ce qu’il vaut, et il le goûte ; ses vues me semblent justes, et il les expose avec une grande modestie, sous le couvert de l’érudition. Je lui conseillerai seulement de ne pas s’exagérer la « vertu préventive de la critique d’art. La critique vaut par elle-même ; elle est un exercice de l’esprit, où nous avons profit et plaisir. Cela n’est-il pas une raison suffisante pour la cultiver ?

Lucien Arréat.

Franz Fauth. — Das Gedachtniss. C. Bertelsmann, Gütersloh, 1888, XV-352 pp.

Cet ouvrage est divisé en 9 livres. Les deux premiers sont consacrés à une exposition historico-critique, l’un, des théories sur la mémoire inconsciente (Jessen, Draper, Hering, Ribot, Lotze), l’autre, des théories sur la mémoire consciente (Horwicz, Wundt, Fouillée, Dorpfeld, Steinthal). Signalons en particulier comme bien fait le résumé du livre de M. Ribot. L’auteur reproche à ce dernier de ne pouvoir dans sa théorie