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a dans cette proposition : Dieu s’est fait homme, une sorte de contradiction ; et Spinoza disait qu’avant d’admettre que Dieu s’est fait homme, il admettrait que le cercle s’est fait carré. Mais c’est là une exagération : car le dogme ne consiste pas à dire que Dieu est devenu homme, qu’il s’est changé en homme, et qu’il a cessé d’être Dieu, comme dans les métamorphoses de la mythologie, ce qui serait en effet une contradiction ; mais ce que l’on dit, c’est que Dieu restant Dieu a revêtu la nature humaine, c’est-à-dire qu’en Jésus-Christ les deux natures se sont unies et forment un seul et même être, de même que, dans l’homme, l’âme et le corps, quoique hétérogènes, se réunissent en un même être. Seulement, dans Jésus-Christ, l’unité des deux natures, leur intussusception est bien plus intime encore, et l’opposition des deux termes est bien plus grande et va presque jusqu’à la contradiction : c’est pourquoi c’est un mystère, mais ce mystère n’est pas un non-sens. C’est la solution d’un problème métaphysique : comment l’infini peut-il entrer en rapport avec le fini ? De quelque manière qu’on résolve le problème, il semble qu’on se heurtera toujours à une sorte de contradiction. Il y a incompatibilité entre les deux termes et cependant ils sont unis. Dans le dogme de l’Incarnation, la solution prend une forme en quelque sorte plus dramatique ce n’est pas l’infini en général qui s’unit au fini en général, c’est une personnalité concrète, Dieu, qui s’unit à une individualité concrète, tel homme ; c’est là, sans doute, un mystère, mais ce mystère représente sous la forme la plus vive le mystère des mystères, la coexistence et la cohabitation de Dieu et du monde.

Le mystère de la Rédemption est la conséquence des deux autres. On peut même dire que les deux autres n’ont été construits que pour rendre possible celui-là. Le dogme de la Rédemption se rattache à un autre dogme chrétien, le dogme de la chute et du péché originel : c’est une solution du problème du mal. Le péché originel en explique l’origine ; la Rédemption en montre la fin. La chute est une rupture de l’homme avec l’infini ; elle a donc dû être suivie d’une expiation infinie, puisque l’humanité tout entière a été condamnée dans le premier homme. À une chute infinie, il faut une réparation infinie ; ou plutôt un châtiment ne pouvant être en proportion avec l’offense, il faut une expiation infinie, qu’aucune victime humaine ne peut offrir. Il n’y a donc que Dieu qui puisse racheter l’homme. Mais Dieu se châtiant lui-même pour réparer la faute de l’homme envers lui serait une contradiction par trop absurde. Il faut donc que ce ne soit pas Dieu tout entier qui paye pour l’homme, mais seulement une partie de Dieu, une personne divine qui accepte le rôle