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(panarium) et est appliqué — de par l’usage — à une espèce de corbeille : la corbeille au pain ; par extension panier prend le sens général de corbeille, » etc. — M. Michel Bréal cite aussi de très curieux exemples. « Si je parle, dit-il, d’une personne accablée de chagrin, j’emploie trois mots qui ont tous trois, par-devant eux, une longue et curieuse histoire. Personne nous ramène au masque de la tragédie antique ; accablée fait allusion aux machines de guerre que le moyen âge avait empruntées de Byzance ; chagrin est le terme turc sagri, a peau », et représente une image de même espèce que chiffonné dans notre parler d’aujourd’hui[1]. »

On pourrait aussi étudier à ce point de vue la formation des mots. Il arrive qu’un mot, se liant étroitement à un autre mot ou à un suffixe, perd quelque chose de son sens. Quand cette composition prend une forme fixe et déterminée, le tout prend un sens synthétique où souvent le sens du composant finit par disparaître. Un certain nombre de linguistes ont accepté cette idée que les différentes formes qui constituent, par exemple, la déclinaison d’un mot sont dues à l’adjonction à la racine de pronoms démonstratifs ayant une signification propre. On a proposé d’expliquer d’une manière analogue l’augment dans les verbes sanscrits et grecs[2]. Ces résultats sont contestés encore et il ne m’appartient pas de prendre parti pour l’une ou pour l’autre théorie, mais on paraît admettre plus généralement que les formes personnelles de verbes, ou du moins presque toutes, consistent, pour employer les termes de M. Regnaud, « dans la soudure d’un pronom personnel à un terme adjectif ou substantif » [3]. De même notre futur français s’est formé par l’adjonction au verbe de l’indicatif du verbe avoir, j’aimerai ="j’ai à aimer" [4]. Il n’est pas utile d’insister pour établir que dans tous ces cas un au moins des composants perd quelque chose de son sens, ne réveille plus en nous les mêmes idées ou les mêmes images, prend une signification plus abstraite et souvent plus générale. Il y a un phénomène psychologique du même ordre, quand un mot se modifie et se combine à un autre pour prendre un sens synthétique où le sens concret des deux composants finit par disparaître, ou encore quand un mot dési-

  1. M. Bréal, l’Histoire des mots (Rev. des Deux Mondes), 1er juillet 1887, p. 196. Voir aussi, pp. 197-198, comment le même mot a pu signifier le lézard et le muscle (lacertus), le muscle et la souris (musculus).
  2. V. Bopp, Grammaire comparée des langues indo-européennes, t. III, p. 173 ; M. Bréal, introduction à la Grammaire comparée de Bopp, t. III, p. lx.
  3. Voyez M. Bréal, Mélanges de mythologie et de linguistique, p. 314 ; Regnaud, Origine et philosophie du langage, p. 277 ; etc.
  4. A. Brachet, Grammaire historique de la langue française, p. 186, 209 ; Littré, Histoire de la langue française.