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calculs transcendants que le maître imagine tout seul et que l’écolier ne saurait apprendre[1]. »

Un des caractères du pantoum est, en effet, de réunir deux suites de vers présentant deux sens différents, non seulement par renchaînement des rimes, mais surtout par quelque chose de commun aux deux sens qui se poursuivent parallèlement, par une qualité commune aux deux systèmes d’images et d’idées qui s’éveillent peu à peu. Supposez que dans une comparaison on sépare complètement les deux termes, qu’on les pose à part, qu’on les développe à part, mais en entrelaçant les différents traits de la description, en développant simultanément les deux images, on aura quelque chose qui se rapprochera beaucoup du pantoum. On pourrait très bien faire quelque chose de ce genre avec le mythe du filet de la nuit. Mais dans le pantoum les liens qui unissent les deux systèmes deviennent aussi ténus que possible, l’abstrait, la forme commune est vague, insaisissable et sentie cependant. Au reste, ce n’est là qu’un côté du pantoum, il comporte aussi des effets de contraste, et tout ce que M. de Banville exprime avec autant de poésie que de justesse. Il me suffit ici d’indiquer ce qui regarde notre sujet[2].

On peut rattacher à la littérature certaines manières de formuler des préceptes, je veux parler de la fable et du proverbe. La fable pour nous n’est guère une leçon de morale, ce n’est pas l’idée abstraite que nous cherchons dans les fables de la Fontaine, mais bien un plaisir littéraire. Mais la fable n’en présente pas moins, prise en elle-même, un exemple assez remarquable de cette concrétion de l’idée abstraite. Pour rendre une vérité abstraite plus sensible on l’incarne dans un fait. Je ne finirais pas si je voulais énumérer tous les cas analogues ; rappelons simplement les pièces et les romansà thèse qui se rapprochent de l’apologue et les énigmes où précisément il s’agit de trouver l’abstrait étant donné le concret, de dégager de la sensation, des images une idée, ou bien de trouver une autre synthèse d’images qui présente la même forme abstraite que le premier. On donne en somme un des termes d’une métaphore, il faut trouver l’autre. Ou bien on donne une phrase abstraite dont les mots, peuvent éveiller plusieurs systèmes d’images, les mots sont choisis de telle sorte que chacun d’eux doit tendre à éveiller d’abord des images qui ne s’accordent pas entre elles ; il faut prendre des mots dans un sens un peu détourné, assez rare, pour trouver un sens

  1. Th. de Banville, p. 248.
  2. Voir en particulier Leconte de Lisle, Poèmes tragiques : Pantoum malais, IV, p. 49.