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JANET.introduction a la science philosophique

de la Trinité a donc un sens, mais de plus un sens métaphysique et d’une métaphysique profonde. C’est la solution d’un problème posé par toutes les philosophies : L’origine des choses est-elle l’unité ou la pluralité ? Le christianisme résout le problème en posant à l’origine l’unité unie à la multiplicité d’une manière indiscutable, non pas à une multiplicité quelconque, mais à une multiplicité définie et limitée. En effet, ou l’on pose l’unité pure, comme Parménide, et de cette unité vide rien ne peut sortir ; ou l’on pose une multiplicité indéfinie comme les ioniens et les atomistes, mais la quantité étant infiniment divisible, il n’y a pas d’éléments premiers ; ou enfin, comme Platon, on pose à la fois l’unité et la dyade indéfinie, mais deux principes indéfinis ne se déterminent pas l’un l’autre, et il semble que l’on ne sort pas encore de l’indéfini. Dans la Trinité chrétienne, l’unité n’est pas liée au nombre en général, à la quantité en soi, mais à un nombre fixe qui est, à ce qu’il semble, le minimum possible pour qu’un être soit quelque chose de défini : car la première condition pour l’être, c’est d’être ; la seconde, c’est d’être quelque chose, c’est-à-dire d’avoir une forme ; la troisième, c’est que la forme soit unie à la substance par un principe de vie et d’activité, en un mot qu’il y ait un passage de l’un à l’autre. Ce n’est donc pas le nombre indéfini qui s’unit à une unité indéfinie. C’est l’unité vivante et concrète ramenée à des conditions essentielles. Tel est le sens métaphysique de la Trinité chrétienne, et que les théologiens, sous une forme ou sous une autre, en ont tiré. « Revenons à nous-mêmes, dit Bossuet : nous sommes, nous entendons, nous voulons… Être, entendre et vouloir font une seule âme heureuse et juste qui ne pourrait ni être sans être connue, ni être connue sans être aimée. Car que serait-ce à une âme d’être sans se connaître, et que serait-ce de se connaître sans s’aimer ? Ainsi, à notre manière imparfaite et défectueuse, nous représentons nos mystères incompréhensibles. »

Si nous passons au mystère de l’Incarnation, lié à celui de la Trinité, nous y trouverons, comme dans le précédent, une incompréhensibilité liée à des termes qui séparément sont compréhensibles. L’idée de l’homme-Dieu peut paraître sans doute une idée contradictoire. Mais on ne peut nier que d’une part nous ne sachions ce que c’est que l’homme ; de l’autre nous savons aussi ou nous croyons savoir ce que c’est que Dieu : au moins entendons-nous par ce terme la cause suprême, l’être souverainement parfait cause du monde et créateur de l’homme. Le mystère ne consiste donc pas ici à introduire des termes inintelligibles, mais à unir entre eux d’une manière inintelligible des termes parfaitement clairs. Sans doute, il y