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comment dans ce dernier exemple la comparaison se tourne en métaphore.

Il arrive quelquefois qu’un esprit habitué aux représentations concrètes et fait pour elles, s’embarrasse dans des idées abstraites. Il faut voir avec quel plaisir il saisit la moindre image qui peut donner un peu de corps à sa pensée. M. Zola, par exemple, expose les idées de Claude Bernard sur l’expérimentation ; on sait la théorie singulière qu’il en a tirée et qui, comme on le lui a fait remarquer, repose sur une confusion complète. Il expose donc de son mieux, avec peine, mais il trouve sur sa route une image que tout esprit abstrait jugera, je crois, insignifiante et il s’en empare avec empressement. « Je citerai encore, dit alors M. Zola, cette image de Claude Bernard qui m’a beaucoup frappé : » L’expérimentateur est le juge d’instruction de la nature. » Nous autres romanciers nous sommes les juges d’instruction des hommes et de leurs passions. »

L’esprit chez qui les idées ne se dégagent pas de la sensation est généralement sans pitié pour les images incohérentes. Gautier se vantait de faire des métaphores qui se suivent. « Je suis un homme, disait-il, pour qui le monde visible existe[1]. » Aussi était-il, comme Flaubert[2], très dur pour la langue du xviie siècle, pour Molière, pour Racine, à qui on reprochait des métaphores incohérentes. Victor Hugo pensait de même, au moins à l’égard de Racine. Il était même fort sévère dans les conversations qu’a rapportées M. Paul Stapfer : « Tenez, voici quatre vers qui passent pour très beaux :

D’un œil aussi content, d’un cœur aussi soumis,
Que j’acceptais l’époux que vous m’aviez promis,
Je saurai, s’il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente.

« À l’exception du vilain que redoublé au second vers, cette période flatte agréablement l’oreille ; mais analysez un peu ce galimatias suave : voici une fille qui va tendre sa tête au fer (on dit tendre le cou) d’un œil content et d’un cœur soumis, du même œil et du même cœur dont elle aurait bien voulu se marier ! C’est grotesque ! Vous rencontrez à chaque instant dans Racine des expressions impropres et incohérentes, comme celle-ci : « Le jour que je respire[3]. » Le même Racine paraît être condamné par son éditeur,

  1. Journal des Goncourt, I, p. 182.
  2. Voyez Maxime du Camp, Souvenirs littéraires (Rev. des Deux Mondes).
  3. P. Slapfer, Deux grands poètes ennemis, Victor Hugo et Racine. (Rev. bleue, 22 mai 1886, p. 641.)