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Aller et venir sur la grève ;

Sa nuit tire du fond des gouffres inconnus
Son filet où luit Mars, où rayonne Vénus,

Et, tandis que les heures sonnent,

Ce filet grandit, monte, emplit le ciel des soirs,
Et, dans ses mailles d’ombre et dans ses réseaux noirs,

Les constellations frissonnent.

Il n’est pas besoin d’insister sur le mécanisme de la métaphore, la partie commune aux deux systèmes d’images est assez faible et saisissable seulement à l’œil d’un poète, le scintillement des étoiles dans le ciel et le reflet des poissons dans un filet. On voit sous quelle forme cette représentation du ciel le soir se présente et quelles images doit s’adjoindre la représentation primitive pour arriver à faire un tout concret.

Dans la littérature, les exemples ne manquent pas. Souvent la pensée, comme dans le passage que j’ai cité de Gautier, se présente avec une forme très concrète, elle s’incarne dans un système de représentations. Un esprit artiste, tourné vers l’observation des choses concrètes, dira, par exemple : « Il semble que, dans la création du inonde, Dieu n’a pas été libre et tout-puissant. On dirait qu’il a été lié par un cahier des charges… Pour pouvoir faire l’été, il a été obligé défaire l’hiver[1]. » Dans la description des sentiments, des impressions morales, nous voyons arriver une comparaison tirée de la nature physique et qui, se rapprochant par quelque analogie de la forme, de l’allure du sentiment éprouvé, lui permettent pour ainsi dire de rester plus longtemps et plus facilement dans l’esprit, le fait mieux comprendre et mieux sentir, au moins à ceux qui sont construits sur le modèle de l’écrivain. Tels sont ces exemples empruntés à Flaubert par M. Brunetière[2], qui y voit « la transposition systématique du sentiment dans l’ordre de la sensation, ou plutôt la traduction du sentiment par quelque sensation exactement correspondante ». Voici quelques exemples : « Si Charles l’avait voulu, cependant, il lui semblait qu’une abondance subite se serait détachée de son cœur, comme tombe la récolte d’un espalier quand on y porte la main. » — « Elle se rappela toutes les privations de son âme et ses rêves tombant dans la boue, comme des hirondelles blessées » ; ou encore : « Si bien que leur grand amour, où elle vivait plongée, parut se diminuer sous elle, comme l’eau d’un fleuve qui s’absorberait dans son lit, et elle aperçut la vase. » Remarquons

  1. Journal des Goncourt, t. I, p. 347.
  2. Flaubert, Madame Bovary ; Brunetière, le Roman naturaliste, p. 142, 143.