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par la couleur réelle des bois et des eaux ; on ne saurait, certes, trouver que des avantages à cette dernière trace d’image visuelle dans une carte, mais il n’est pas moins intéressant de voir combien persiste cette tendance de limage concrète à se conserver et à reparaître dès que l’occasion le permet.

§ II.

Après les représentations figurées, nous pouvons prendre, comme expression de l’état psychique de l’homme, la littérature. C’est donc une étude de l’imagination littéraire qui s’impose à présent. Il s’agit d’entrevoir, derrière ces formes de langage, les formes mêmes de l’esprit. Il me semble qu’il y a là une riche mine de documents psychologiques que la psychologie contemporaine, sauf quelques rares exceptions[1], n’a pas suffisamment creusée.

L’étude des figures de rhétorique peut être ici, je crois, de quelque intérêt, mais elle serait trop longue : la métaphore présente une interprétation facile ; au point de vue où nous sommes placés ici, la catachrèse peut être considérée comme une sorte de métaphore, une métaphore dans laquelle le sens concret primitif a disparu et où il ne reste plus que le sens abstrait dérivé, ou un autre sens concret qui a supplanté le premier, ou plutôt qui, se rattachant à une partie des éléments psychiques qui constituèrent le premier sens, a remplacé les autres. Elle indique donc une forme supérieure de l’abstraction. Mais il n’y a sans doute pas de distinction bien précise entre la métaphore et la catachrèse, et ce qui est métaphore pour l’un est catachrèse pour un autre. Telle personne, à l’esprit abstrait, emploiera un mot en lui donnant simplement le sens abstrait et général qui convient à la circonstance, en lui retirant par conséquent une partie du sens qu’il a d’ordinaire. Il risque seulement d’être mal compris. Quand nous disons, à présent, le soleil se couche, la nuit arrive, nous ne faisons aucune personnification, mais pour l’enfant, par exemple, les termes auront un sens moins abstrait et, quand le jour naîtra, il demandera : « Où est la nuit, maintenant ? » et non dans le sens où la question pourrait recevoir une réponse précise, mais dans un sens vague, moitié concret.

  1. Voir les belles études de M. Renouvier sur Victor Hugo, particulièrement celle qui est intitulée La puissance mythique, dans la Critique philosophique. Voir aussi Taine, de l’Intelligence, passim, etc. ; P. Janet, la Psychologie de Racine. (Revue des Deux Mondes, 15 sept. 1872.)