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BINET. — sur les altérations de la conscience

coordination qui existe dans la perception visuelle des sensations provenant du membre anesthésique.

L’association des sensations n’est pas le dernier mot du phénomène. C’est peut-être même là un fait général. L’association des idées n’est qu’un schéma, c’est la coordination des idées qui est le fait réel[1].

En somme, l’analogie la plus grande existe entre le processus de l’enregistrement des idées par des mouvements inconscients, et le processus de la perception des sensations inconscientes, sous forme d’idées. C’est en quelque sorte le même processus renversé se déroulant tantôt du centre à la périphérie et tantôt de la périphérie au centre.

De ces deux faits découlent des conclusions importantes pour la psychologie de l’inconscience.

On a pensé que des phénomènes analogues à ceux que nous avons désignés jusqu’ici sous le nom d’inconscients appartenaient à une seconde conscience, distincte de la conscience principale du sujet, et que par conséquent, inconscients pour le sujet, ces phénomènes pouvaient être conscients en eux-mêmes. C’est là une première hypothèse. On a pensé en outre que le mécanisme de ce dédoublement de conscience consistait dans une dissociation, c’est-à-dire dans un défaut d’association, de communication entre les éléments des deux consciences. C’est là une seconde hypothèse.

Cette seconde hypothèse, celle de la dissociation, nous paraît inexacte en ce qui concerne les faits que nous avons observés. Comment parler de rupture de communication, d’isolement, lorsque les phénomènes conscients et inconscients sont non seulement associés, mais encore coordonnés les uns avec les autres, et s’adaptent réciproquement en vue d’une fin commune ? Évidemment, cela est impossible ; et, s’il est exact que, dans des conditions différentes, il se produit des dissociations vraies, qui ont pour conséquence des dédoublements de la personnalité, il demeure établi que ces dissolutions n’expliquent point l’anesthésie hystérique[2].

  1. M. Paulhan a publié dans ce sens des études intéressantes (Rev. philosoph., 1888).
  2. M. Pierre Janet, que je vise dans le texte, et auquel j’ai communiqué mes observations, m’écrit que par dissociation il n’a pas entendu désigner un phénomène contraire à l’association des idées ; pour lui, un état dissocié est un état qui n’est point ramené à l’idée du moi et de la personnalité, et qui échappe à cette synthèse supérieure. M. Pierre Janet reconnaît lui-même que l’ambiguïté de l’expression dissociation mentale explique mon erreur. Quoi qu’il en soit, je suis heureux de constater que nous sommes pleinement d’accord pour l’interprétation des faits précédents.