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BINET. — sur les altérations de la conscience

casion de constater l’existence d’une sorte de transposition des sens, par laquelle la perception cutanée ou musculaire se fait sous la forme d’une image visuelle. Tout ce que l’auteur rapporte relativement aux altérations de la perception et à son retard nous paraît exact ; les sensations de piqûre et de pression, auxquelles il paraît avoir eu recours presque exclusivement, sont parfois moins bien perçues que les sensations musculaires. Nous en avons eu un exemple chez Lav… Ajoutons encore que M. Révillout, n’ayant pas compris de la même manière que nous le mécanisme de l’anesthésie, n’a pas dû comprendre davantage dans quelle forme il convenait d’interroger les malades.

Continuons à noter quelques détails intéressants.

Ce qui rend ces expériences très délicates, c’est que l’exploration de la sensibilité se fait par une exploration dans le domaine des idées. On ne demande pas aux malades : « Sentez-vous où je vous pique ? — Savez-vous combien de fois je fléchis votre poignet ? » — On leur demande : « Pensez à un point de votre peau, choisissez un nombre. » Il peut donc arriver souvent que le sujet, se comportant comme un individu normal, imagine spontanément un chiffre qui lui est fourni par sa mémoire, au lieu d’être suggéré par l’excitation périphérique. De là des erreurs inévitables, qui sont inhérentes à la nature du phénomène. Ces erreurs sont surtout manifestes au début de l’expérience. Mais en revanche, lorsque l’excitation périphérique a réussi une première fois à suggérer l’idée correspondante, on peut être à peu près certain que la réussite continuera, ce qui exclut toute idée de hasard. La forme de la demande exclut, nous le répétons, toute crainte de suggestion involontaire.

L’état mental du sujet, à ce moment, est fort curieux à étudier. Il y a une grande différence, suivant qu’on laisse le sujet choisir un chiffre spontanément, ou qu’on le force, à son insu, à en penser un, au moyen d’une excitation périphérique. Dans ce dernier cas, le chiffre ne répond pas aussi vite à l’appel de la volonté. Le sujet dit : « Je ne sais pas pourquoi, il faut que je cherche davantage ». Cette période de recherche correspond au retard de la perception ; — nous l’avons trouvée particulièrement longue chez Schey… ; elle était de 5 secondes environ.

Au bout d’un certain nombre de réussites, le chiffre suggéré par la sensation périphérique inconsciente est suggéré avec tant de force qu’il s’impose au sujet comme une sensation réelle. C’est à ce point qu’on peut obliger quelques sujets, par l’intermédiaire de l’excitation périphérique, à penser à un chiffre inférieur à 10, alors qu’on les invite par la parole à en choisir un supérieur à 10. Les sujets, après