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Cette perception, souvent, ne se déclare pas dès la première épreuve. Il s’agit ici d’un phénomène délicat qui n’apparaît pas à un examen superficiel. Du reste, s’il suffisait, pour le découvrir, de piquer ou de pincer une malade anesthésique, on ne serait pas resté si longtemps sans en avoir aucune idée. De plus, l’excitation périphérique de la peau ou des tissus profonds ne pénètre pas instantanément dans la conscience sous la forme d’un idée visuelle ; la perception subit un retard, très variable suivant les sujets et suivant le mode d’excitation ; ce retard peut même s’étendre à plusieurs secondes, surtout quand l’excitation cutanée consiste dans une pression ou une piqûre.

M. Revillout, plusieurs années avant nous, a constaté que l’anesthésie hystérique consiste dans un retard de perception. Ce retard, d’après l’auteur, peut être même de plusieurs minutes. Les observations de cet auteur concordent donc parfaitement avec les miennes. Voici du reste les conclusions de son travail[1] ; nous allons y relever plusieurs points intéressants :

« Chez quelques malades, ce sont des retards très légers que Cruveilhier avait observés et décrits dans l’ataxie locomotrice ; toutes les sensations sont perçues ; mais un peu de temps après avoir été causées. Chez d’autres, des retards plus longs, qui exigent une impression plus étendue, au moins en surface, pour la mise en jeu du centre conscient ; chez d’autres, des retards plus longs encore ; la continuité de l’impression devient nécessaire ; autrement, elle passe inaperçue comme elle peut le faire chez un homme préoccupé par une passion violente ou une grande tension d’esprit. Souvent même dans ces conditions, la sensation, une fois provoquée, n’apparaît pas telle qu’elle devrait être. Le malade qu’on pince commence par accuser l’impression que lui produirait un contact superficiel, le passage d’une mouche, ou une pression simple, ou même l’éveil d’une sensation de température, de chaud ou de froid. Dans les cas les plus accentués que j’ai rencontrés et où le retard se prolongeait jusqu’à une demi-heure et plus, il arrivait aussi que des sensations autres se manifestaient dans la même région sans que le malade, qui auparavant n’y sentait absolument rien, rapportât d’abord ce qu’il éprouvait au point précis où l’excitation était appliquée. »

Nous constatons tout de suite que l’auteur n’est pas d’accord avec nous lorsqu’il considère l’anesthésie hystérique comme simplement apparente, et l’explique par un retard de perception. Il n’a pas eu l’oc-

  1. Les anesthésies apparentes et les sensations retardées dans les névroses (Mémoires de l’Acad. des Sciences, 1885, t.  II, p. 555).