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BINET. — sur les altérations de la conscience

3o Le sujet a les yeux fermés ; il a une plume à la main ; on le prie d’écrire un mot quelconque, quand on lui en donnera le signal, et pas avant. Ici encore, le sujet se trouve soumis à une double excitatation d’une part, le contact de la plume dans la main anesthésique, qui l’excite à écrire ; et sa volonté d’autre part de ne pas écrire, qui fait obstacle à ce mouvement naissant. Chez quelques sujets, comme Léonie Lav… et Marie Hab…, voici ce qui se passe : avant le signal donné, la main anesthésique commence à écrire, à l’insu du sujet ; puis, lorsque le signal a lieu, le sujet écrit de nouveau ; en comparant les deux spécimens d’écritures, on reconnaît que la première est beaucoup plus petite que la seconde[1] ; évidemment, la grandeur de l’écriture a été déprimée par l’action inhibitoire de la volonté ; mais le mouvement graphique n’a pas pu être enrayé complètement. Chez d’autres sujets, au contraire, par exemple chez Amélie Cle… et chez Louise St-A…, la main n’écrit absolument rien jusqu’au moment où le signal est donné.

Les faits précédents nous permettent de déterminer dans quelles conditions se produit un curieux caractère de l’écriture, qui appartient, en propre, croyons-nous, à l’hystérie. Nous avons vu que les mouvements inconscients présentent une tendance à la répétition ; lorsqu’un mouvement quelconque se produit dans un membre anesthésique, soit sous l’influence de la volonté du sujet, soit sous l’influence d’excitations portées sur le membre, ce mouvement a une tendance à se répéter un certain nombre de fois. Par exemple, lorsqu’on fait tracer un mot passivement à la main anesthésique du sujet, ou que le sujet écrit volontairement ce mot, les yeux fermés, avec sa main anesthésique, on observe une répétition du mot tout entier, ou une répétition de lettres dans le corps du mot. Par exemple, le sujet voulant écrire : « Léonie » écrira, les yeux fermés : « Léonnieee. »

Lorsque les malades écrivent les yeux ouverts, faut-il s’attendre à trouver ces troubles si singuliers dans leur écriture ? Les expériences qui précèdent nous permettent de faire une distinction. Quand il s’agit d’un sujet chez lequel la volonté peut supprimer les mouvements inconscients, cette tendance à la répétition sera enrayée, et l’écriture ne présentera jamais ce redoublement de lettres, soit que le malade ait écrit les yeux ouverts ou les yeux fermés. C’est ce qui a lieu par exemple pour Amélie Clet…, et Louise St-Am…

Au contraire, chez les sujets dont les mouvements inconscients échappent au contrôle de la volonté, cette tendance à la répétition

  1. Sur l’écriture hystérique, voir nos Études de psychologie expérimentale, p. 299.