Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
BINET. — sur les altérations de la conscience

n’est pas suggérée uniquement par cette représentation mentale ; elle l’est aussi et en même temps par l’attitude donnée à la main.

Chez d’autres sujets, les choses se passent un peu différemment. Sous l’influence d’une pensée prédominante, la main anesthésique écrit, alors même qu’on ne lui donne pas l’attitude nécessaire pour écrire ; l’index cherche à tracer le mot qui occupe l’esprit du sujet. Ici, l’image graphique paraît être suscitée uniquement par la représentation mentale. Il n’est cependant pas difficile de remarquer que, même chez ces malades, la position donnée à la main anesthésique change la forme de l’enregistrement ; car si on glisse une plume entre les doigts, la main anesthésique écrit le mot avec la plume, au lieu de le faire avec l’index, ce qui exige un mouvement tout différent.

Une autre expérience, qui n’est pas de moi, et qui a été imaginée d’une façon tout à fait indépendante de mes recherches par M. Babinski, peut servir à montrer une fois de plus combien l’attitude ou le mouvement de la main anesthésique exercent une influence sur l’image motrice inconsciente. On demande au sujet, pris à l’état de veille, de penser à un chiffre ; puis, on prend sa main anesthésique, et, à son insu, on lui soulève le doigt un certain nombre de fois ; quand on arrive au chiffre pensé, le doigt se raidit, et indique de la sorte le chiffre à l’expérimentateur. Ici, plus d’écriture ; la traduction inconsciente de l’idée du sujet ne se fait plus par un mouvement graphique, mais par un mouvement du doigt. Ainsi, l’attitude communiquée à la main anesthésique commande la forme suivant laquelle le mouvement inconscient enregistre les idées du sujet ; et, si l’on veut obtenir un autre genre d’enregistrement, il n’y a qu’à imaginer un autre genre d’attitude.

Par exemple, après avoir habitué la malade à écrire sa pensée, on peut l’habituer à désigner le chiffre auquel elle pense, au moyen de mouvements de flexion de son poignet, ou de flexions successives des cinq doigts de la main. II est assez curieux de voir que, lorsqu’on substitue de nouveau mode d’enregistrement à l’ancien, l’inconscient s’obstine pendant un certain temps à conserver l’ancien, et il cherche encore à écrire, avant de se décider à marquer les chiffres par les mouvements du poignet ou des doigts.

On remarquera facilement que ces nouveaux modes d’enregistrement sont plus complexes que ceux de l’écriture ; car ce n’est pas le sujet qui soulève un certain nombre de fois le doigt ou le poignet ; c’est l’expérimentateur ; le sujet se borne à compter inconsciemment les mouvements passifs, et à arrêter l’expérimentateur, en raidissant le doigt, quand le nombre de mouvements devient égal au chiffre pensé.