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réalité une métaphysique ; que la religion, dans ce qu’elle a de plus élevé, peut être considérée comme une métaphysique de sentiment, de même que la métaphysique peut être appelée une religion de raison. Seulement ces dogmes, en tant que vérités surnaturelles, c’est-à-dire révélées et supérieures à la raison, sont appelés des mystères. C’est le propre du christianisme, c’est-à-dire de la plus haute religion connue, d’imposer des mystères à la croyance de l’humanité.

La notion de mystère n’a pu naître dans l’esprit humain que lorsque la distinction du naturel et du surnaturel, du rationnel et du révélé s’est formée d’une manière claire et distincte. Dans les religions primitives, comme on l’a souvent remarqué, le naturel et le surnaturel ne se distinguent pas l’un de l’autre : le surnaturel est partout dans la nature. De même, il n’y a guère de différence entre le rationnel et le révélé. Tout est révélé. Tout parle par la voix des Dieux ; tout est Dieu ; et rien n’est à proprement parler rationnel et humain. Mais lorsque, par le progrès de la science, de la philosophie et de l’industrie, les hommes sont arrivés à se former quelque idée des lois de la nature et des lois de l’esprit, ils ont su qu’il y avait certaines vérités et certaines actions qu’ils pouvaient obtenir par les forces seules de la nature et par celles de leur esprit ; et ils ont appliqué à ces vérités et à ces actions la qualification de naturelles ou humaines, les choses humaines étant elles-mêmes des choses naturelles. Mais en même temps, comme ils continuaient à croire qu’il y avait un domaine supérieur soit aux lois de la nature, soit aux puissances de leur propre esprit, ils ont appelé supra-naturel ou surnaturel tout ce qui dépassait la puissance connue de la nature ou de leur esprit. La religion alors s’est retirée dans ce domaine du surnaturel, laissant le monde proprement dit aux disputes humaines (tradidit mundum disputationibus), et l’on pourrait ajouter : aux opérations humaines (operationibus). Tout ce qui est, tout ce qui se fait au delà est du domaine du mystère et du miracle.

On a beaucoup disputé entre théologiens et philosophes sur la question de savoir si les mystères sont simplement supérieurs à la raison, ou s’ils ne lui sont pas contraires. Tout le Discours préliminaire de Leibnitz à sa Théodicée sur la Conformité de la foi et de la raison est consacré à cette question.

Nous ne toucherons pas à ce débat. En un sens, tout ce qui est supérieur à la raison est en cela même, au moins en apparence, contraire à cette raison. Cette distinction d’ailleurs, capitale lorsqu’il s’agit d’imposer la croyance absolue à ces dogmes considérés comme vérités révélées, est beaucoup moins importante lorsque l’on n’y