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BINET. — sur les altérations de la conscience

assez plaisante, elle commet une erreur de perception ; elle serre la boîte de toutes ses forces, en la confondant sans doute avec le dynamomètre qu’on avait placé dans sa main quelque temps auparavant. On est donc obligé, pour faire sur elle une expérience d’analgésie, de placer l’allumette dans sa main anesthésique, après l’avoir enflammée ; elle tient avec l’index et le pouce l’allumette sans faire aucun mouvement ; mais, quand la flamme arrive au contact de sa main, elle laisse tomber l’allumette, comme l’avait fait Amélie Cle… ; seulement elle paraît moins sensible que cette dernière à la douleur, car elle met moins de précaution à ne pas se laisser brûler, et de plus, dès que l’allumette est tombée sur la table, la main se baisse pour la ramasser.

Chez Léonie Lavr…, hystérique hémianesthésique droite, présentant de l’amyotrophie juvénile[1], les mouvements inconscients des membres anesthésiques sont à peu près aussi développés que chez la malade précédente. Nous plaçons, toujours à son insu, une boîte d’allumettes dans sa main droite ; dans cette expérience, nous plaçons à proximité du bras de la malade un aimant ; l’influence de cet esthésiogène sur les mouvements inconscients sera étudiée plus loin. La main anesthésique palpe la boîte, parvient à l’ouvrir avec beaucoup d’hésitation, tâte les allumettes longtemps avant d’en prendre une, et, quand elle en a pris une, ne cherche pas à l’allumer, mais la tient immobile entre ses deux doigts. Ici encore, plaisante erreur de perception ; la main croit tenir un crayon, et essaye d’écrire. Nous enflammons nous-mêmes l’allumette et nous la lui donnons. Le pouce et l’index ne paraissent pas s’apercevoir de la flamme qui approche et qui vient s’éteindre à leur contact. Malgré la brûlure qui a dû en résulter, les doigts restent immobiles. Nous enflammons une seconde allumette, et nous la faisons tenir un peu inclinée par la main de la malade, afin que la flamme soit plus grande et la brûlure plus considérable. Dans cette nouvelle expérience, l’extrémité des ongles du pouce et de l’index a été brûlée et fondue ; néanmoins, les deux doigts sont restés immobiles.

Il nous paraît certain que chez cette malade il y a de l’analgésie combinée à la conservation du sens tactile et du sens musculaire, car la malade a ouvert toute seule la boîte, elle a tenu l’allumette ; le contact était donc conservé sous forme inconsciente, la sensation de douleur était seule détruite.

Nous rappelons en passant qu’on a déjà observé très souvent chez

  1. L’observation très curieuse de cette malade se trouve dans les leçons de M. Charcot, les Maladies du système nerveux, t.  Ill. p. 201.