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BINET. — sur les altérations de la conscience

être à ce que les premières impressions n’ont pas comme les dernières la propriété de représenter un objet dont la présence sollicite des mouvements d’adaptation ; pour que l’excitation soit suivie d’une réponse, il faut qu’elle renferme l’indication du mouvement à produire. Servons-nous d’une comparaison qui éclaircira peut-être les idées : des impressions simples provoquées par une pointe de compas ou d’épingle sont comme des lettres isolées, a, b, c,… qui n’éveillent aucune idée, tandis que les impressions complexes d’une boîte, d’un porte-plume, etc., sont comme des mots qui suggèrent un sens défini.

Nous ne nous attarderons pas à faire remarquer que dans l’anesthésie par inconscience toutes les sensibilités spéciales sont susceptibles d’être conservées ; la sensibilité musculaire, ou kinesthétique, est souvent même d’une finesse exquise, permettant au sujet de répéter avec une exactitude parfaite les mouvements de l’écriture qu’on lui a fait tracer ; la sensation du poids prouve son existence par ce fait que le bras étendu auquel on suspend des poids différents conserve sa position étendue en faisant des efforts musculaires proportionnés à la charge qu’il supporte. Enfin, le sens du toucher est en éveil dans toutes les expériences où intervient un objet que le sujet manie et peut même reconnaître.

Il existe une forme de sensibilité dont l’étude présente un intérêt particulier : c’est la sensibilité à la douleur. Survit-elle dans le membre qui est anesthésique par inconscience ? C’est une question fort difficile à élucider. Voici les faits que nous avons observés.

Tout d’abord, pour mettre en œuvre la sensibilité à la douleur, il faut rejeter la méthode de la piqûre, qui n’apprend rien ; en général, quoique piquée avec une épingle, la main anesthésique reste immobile, sans se défendre. Il faut agir ici comme pour la sensibilité tactile, ne pas employer des excitations simples, mais des excitations complexes, qui éveillent l’idée d’un objet.

Voici quelques-unes des expériences que nous avons imaginées. Nous plaçons dans la main droite d’Amélie Cle… une boîte d’allumettes ; selon un dispositif commun à toutes les expériences, un grand écran vertical empêche la malade de voir sa main ; au bout d’un instant de contact, la main droite entoure la boîte, la palpe, paraît la reconnaître, pousse en dehors le tiroir qui contient les allumettes, en prend une, la frotte contre les parois de la boîte, l’allume, et la tient allumée, en l’inclinant un peu ; à mesure que la flamme s’avance, les doigts reculent, comme s’ils fuyaient devant la chaleur, et, quand la flamme approche à l’extrémité de l’allumette, les doigts se desserrent et l’allumette tombe ; il ne se produit aucun geste