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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

réclame l’expression du sentiment. Cette expression, un mot, un nom la rappelle et l’impose.

Sur les rapports de la musique de chambre avec la parole, comme sur les rapports de la symphonie avec les indications verbales, tantôt plus tantôt moins étendues, nous venons d’interroger les faits. Par les faits, nous entendons les aveux, les exemples, les témoignages que les maîtres ont exprimés de vive voix ou par écrit, les explications des interprètes, des commentateurs du quatuor, de ses dérivés, de ses analogues. Quelle a été la réponse ? Celle-ci : que la musique de chambre, pas plus que la symphonie, n’est purement, exclusivement instrumentale. Pour diriger leur pensée inspiratrice, pour être compris et goûtés de l’élite, des virtuoses, des amateurs instruits, les maîtres allient à leurs compositions des titres, de courts programmes, au minimum ces indications de mouvements et de nuances qui sont des programmes en raccourci. Comment les auditeurs qui sont au-dessous de l’élite se passeraient-ils de ce secours ? Les théoriciens systématiques ne pensent donc pas à cette masse d’amis de la musique avides de jouir et non préparés à comprendre ? Eh quoi ! les maîtres allemands en ont eu souci. Mozart, entendez-vous, Mozart lui-même a déclaré qu’il aspirait à être compris de tout le monde, sans pour cela rien sacrifier de son art ; et nous, après plus d’un siècle d’expérience, nous n’en serions pas préoccupés ? Il y a pourtant une grande différence entre l’auditeur français ordinaire et l’amateur allemand. Celui-ci a des dispositions naturelles remarquables. On les cultive en lui dès la première enfance. Le maréchal ferrant, le tailleur, le cordonnier joue, dit-on, le quatuor chaque dimanche, avec ses enfants, avec ses ouvriers, avec ses voisins. Cependant c’est dans les quatuors des maîtres allemands que nous avons recueilli les faits invoqués dans ce travail. Et nous qui avons moins d’innéité et moins de culture, on nous laisserait aux prises avec la musique prétendue pure, en prononçant du haut d’un système : « Que la musique instrumentale doit se suffire à elle-même ? »

Non. Le devoir ici est de travailler pour les esprits de bonne volonté qui ne sont pas encore ou qui ne pourront jamais être dans l’élite. Le devoir et l’intérêt bien entendu de l’art sont de les aider. On a vu tout à l’heure que c’est l’avis de M. Camille Saint-Saëns. J’ai assez dit que c’est le vœu de M. Eug. Sauzay. Celui-ci, souvenons-nous-en, enseigne, dans son excellent livre, que le moyen de perfectionner l’auditeur est, non pas uniquement, mais principalement de lui montrer, sous chaque instrument, un esprit qui chante, qui dialogue, qui interroge, qui discute, bref qui parle. Ce que dit