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J’ai rangé le concerto au nombre des pièces de la musique de chambre. J’ai suivi en ce point les ouvrages techniques qui font autorité. On me dira sans doute que le concerto n’a ni programme ni titre. J’en conviens et j’ajoute qu’il n’en a pas besoin, parce que ce genre de composition est ordinairement destiné à faire briller le talent d’exécution des virtuoses. Certes l’expression n’en est pas exclue, loin de là. Toutefois l’expression y peut rester vague sans que le jeu du virtuose, accompagné de l’orchestre, cesse d’être varié, habile, surprenant, merveilleux. Les connaisseurs y apprécient avant tout le coup d’archet du violoniste, le doigté du pianiste, la pureté du son chez le flûtiste, et ainsi des autres. Pour de telles appréciations, un titre est superflu, à quelques exceptions près. Quant au public bien doué, mais non assez instruit, je l’ai curieusement observé à l’audition des concertos. Ce qu’il regarde ou plutôt ce qu’il dévore des yeux, ce sont les mains, les doigts, les bras, la tête de l’exécutant. Il est ébloui, ravi, enthousiasmé par les mouvements précis et rapides. Liszt, qui avait à sa disposition tant de ressources, ne manquait jamais de prendre son auditoire par les yeux autant que par l’ouïe. Cachez le virtuose derrière un léger rideau, il y a toute une partie du public qui restera presque indifférente, que ce soit au concert ou dans un salon privé. Le virtuose étant dérobé aux regards, un titre n’éclairera pas ceux pour lesquels l’exécution musicale est non chose à entendre, mais spectacle seulement.

Il y a des valses qui vont droit aux jambes ; il y en a d’autres qui vont droit au cœur. Celles-ci veulent être seulement écoutées ; jouées en petit comité, elles charment, elles émeuvent. Qu’elles puissent se passer de titre, c’est évident. Le nom seul de valse est une claire indication : il appelle aussitôt l’image de deux jeunes danseurs de sexe différent, beaux, gracieux, étroitement enlacés et préludant à l’amour, peut-être en subissant déjà l’enivrante atteinte. La tonalité, le rythme, certaines nuances, la mélodie tendre, langoureuse, puis ardente, passionnée s’unit naturellement à cette image, et l’effet est produit. Pourtant le besoin de se faire comprendre, de caractériser son œuvre, même légère, est tel chez le compositeur, qu’il choisit quelque nom de femme ou de fleur qui commente sa valse et l’explique en une certaine façon. Berlioz dit d’une valse charinante que c’est un cri d’amour. D’autres font entendre à peu près la même pensée, lorsqu’ils intitulent ces mélodies, que Platon eût redoutées, Rosita, Indiana, Les Roses. Assurément ces valses ne se refusent pas absolument à être dansées, mais elles y perdent ces inégalités de mouvement que la mesure du bal ne comporte pas et que