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M. de Lenz est d’accord avec M. E. Sauzay et avec nous lorsqu’il écrit : « Mendelssohn occupe une place hors ligne dans la musique de chambre. Le quatuor en la mineur, bâti sur la mélodie : « Ist es wahr ?  » est une intime et délicieuse conversation des quatre instruments sur l’amour dans les données germaniques[1]. »

Les maîtres donnent parfois à telle ou telle partie du quatuor un véritable titre ; et il est arrivé que le titre a pris l’importance d’un programme. L’adagio du sixième des quatuors dédiés au prince Lobkowitz par Beethoven est intitulé : Malinconia. « À combien de pages de Beethoven pourrait s’adapter ce titre, dit M. E. Sauzay. Mais ici n’a-t-il pas voulu, par le rapprochement de deux rythmes (différents de caractère), exprimer ce mélange de joie et de tristesse qu’offre la vie, mais où néanmoins domine pour lui le dernier de ces sentiments, comme l’indique son titre ? La basse, dans sa marche ascendante, ne semble-t-elle pas, en gravissant ainsi péniblement chaque échelon de la gamme chromatique, porter tout le poids de cette mélancolie[2]. »

Afin d’apaiser ceux qu’irrite l’ombre d’un titre, supposons que le mot Malinconia n’ait pas été écrit là par Beethoven ; allons plus loin, admettons que l’auditeur ignore que cet adagio soit de Beethoven ; il ne restera que la musique. Cette musique sera profondément triste ; mais de quelle tristesse ? L’auditeur ne le saura pas. Et de qui sera-ce la tristesse ? Il ne pourra le deviner. Prétendra-t-on qu’il n’en jouira que davantage ? Alors dites tout de suite qu’un opéra sans paroles, s’il en existait un, serait l’opéra par excellence. Quant aux amateurs qui s’insurgent contre toute précision et qui vont s’écriant : « Mais si j’aime le vague, moi ? » nous leur répondrons à loisir un peu plus tard. En ce moment nous ne leur dirons qu’un mot : la musique est par elle-même vague ; c’est une admirable qualité s’il s’agit d’exprimer quelque chose de vague. S’il s’agit d’exprimer quelque chose d’un peu précis, c’est une impuissance. Quoi de plus raisonnable que d’y remédier par un mot, par quelques mots ? Loin d’y perdre, la musique y gagne, et aussi l’auditeur. Vous croyez la défendre ; vous la trahissez.

Plus Beethoven avance dans sa carrière, plus il approche de sa fin, plus il craint de n’être pas compris et plus il veut l’être ; il redouble de précautions afin de s’assurer qu’il le sera. À l’œuvre 127 commence la série de ses derniers quatuors. « On y remarque un caractère musical nouveau, un sentiment intime et délicat que

  1. De Lenz, Beethoven et ses trois styles, tome I, page 142.
  2. E. Sauzay, ouvrage cité, page 124.