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tendra de la musique pleine, vivante, au lieu d’entendre des sonorités agréables, mais abstraites, au lieu d’assister à des déroulements de syllogismes symphoniques qui donnent toujours envie de s’écrier : « Mais qu’est-ce que cela veut donc dire ? »

Ce n’est pas que j’aie la moindre intention de nier l’intérêt, le charme spécial des belles combinaisons musicales. Je les reconnais hautement et j’y insisterai bientôt. Elles constituent éminemment la forme musicale en elle-même. Je chercherai si ces formes, même les plus savantes, sont sans fond même pour le connaisseur exercé et subtil. Des aveux involontaires et cependant complets seront à enregistrer à ce sujet. Ce que je désire bien noter dès à présent, c’est que la moindre indication verbale est une lumière pour l’exécutant chargé d’interpréter la composition avec son instrument ; c’est qu’un titre, quelques mots écrits sur la partition du quatuor et sur le programme diminueraient considérablement la peine, augmenteraient le plaisir de l’auditeur et en feraient plutôt un admirateur ravi et un juge compétent.

Les maîtres ne l’ont pas tous su d’assez bonne heure. Ils n’ont pas tous, ni assez souvent pris leurs précautions pour être accessibles. Leur réputation en a quelquefois pâti, et aussi notre plaisir. À l’époque de la jeunesse ou de la maturité florissante, on a confiance ; on compte qu’on sera deviné, compris, traduit grâce à la vertu seule de l’art où l’on excelle. Si, par cas, on est incompris, on ne se reproche pas d’avoir été peu clair ; on maudit, on traite avec mépris l’ignorance et la sottise du public. Vient toutefois l’expérience ; sans en avoir pleine conscience, le compositeur se laisse conseiller par elle. Plus conciliant, plus traitable, plus défiant de ses propres forces, surtout vers le déclin, il se résigne à des éclaircissements tardifs ; il s’explique, il se commente lui-même. Ou bien, s’il ne tarde pas, c’est qu’il tient infiniment à gagner les cœurs en passant par l’intelligence. Dans les deux cas, instinctivement, sinon par calcul, il a recours aux mots. D’éclatants exemples le prouvent. Dira-t-on que ce sont des exceptions ? Oui, malheureusement. Il aurait fallu que ce fût la règle, puisque cette règle paraît de jour en jour plus raisonnable.

Le dernier quatuor de Haydn, composé seulement d’un premier morceau et d’un menuet, offre cette particularité qu’il porte une phrase vocale, il a pour titre dans la collection Imbault : Canon, par Haydn. Les paroles de cette phrase sont celles-ci : Hin ist alle meine Kraft ; alt und schwach bin ich. — Toute ma force est perdue : je suis vieux et faible. « Si l’on en croit Carpani, ami et historien de Haydn (dit M. E. Sauzay), il aurait employé cette phrase dans