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JANET.introduction a la science philosophique

pas sans doute sans fondement, mais qui leur faisait considérer leur cause comme absolument séparée de celle de la théologie, et plutôt même comme opposée. Les positivistes les ont forcés dans ce retranchement. Ils ont fait une objection solide et profonde qui changeait la face des choses ; cette objection, c’est que la métaphysique n’a pas à se prévaloir grandement de son indépendance à l’égard de la théologie, que cette indépendance est toute négative et purement critique : mais que, pour le fond des choses, pour la partie positive de la doctrine, toute la substance de la métaphysique n’est que la théologie transformée, traduite en langage abstrait, ayant passé des entités surnaturelles conçues comme personnalités concrètes, aux entités logiques conçues comme substances et qualités métaphysiques ; mais le fond serait toujours le même de part et d’autre. Il ne servirait du reste de rien à certaines écoles métaphysiques, plus ou moins téméraires et indépendantes, de se dégager à leur tour en renvoyant l’objection aux doctrines spiritualistes, et en les appelant des théologies au même titre que les religions elles-mêmes ; ce serait là une tactique aussi maladroite que peu loyale, et du reste inutile, car les positivistes, et avec raison, ne séparent pas les écoles les unes des autres. C’est la métaphysique tout entière, quelle qu’en soit la forme, qui est, selon eux, issue de la théologie. Cela est aussi vrai du panthéisme et de l’idéalisme, que du théisme et du spiritualisme. Hegel et Schelling sont aussi bien sortis de la théologie protestante que Descartes et Malebranche de la théologie catholique ; Socrate, Platon et Aristote n’ont fait que purifier la mythologie populaire, et l’école d’Alexandrie n’a trouvé des conceptions nouvelles, en métaphysique, que parce qu’elle s’est inspirée des religions orientales.

Il faut donc donner raison aux positivistes sur ce point ; leur critique est fondée. La métaphysique sort de la théologie, et il y a une parenté, une affinité très étroite entre la doctrine théologique et les doctrines métaphysiques ; sauf la différence de forme, leur valeur au fond est la même de part et d’autre.

Cela étant, en abandonnant, comme elle le fait d’ordinaire, la théologie aux attaques du positivisme et du matérialisme, la métaphysique court risque de s’immoler elle-même. Car, ou bien il faut dire que les doctrines théologiques sont absolument et radicalement fausses, et cela au fond aussi bien que dans la forme ; et alors elles entraînent avec elles tout ce qui vient d’elles, à savoir le fonds commun des métaphysiques et des théologies : — ou bien il faut reconnaître que les vérités métaphysiques, qui se rattachent à la théologie par le fond, ne cessent pas d’être des vérités parce qu’elles sont