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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

l’initiative de la phrase ; toutes conditions dont dépend essentiellement l’ensemble moral et matériel du quatuor.

« Il doit, comme un chef d’orchestre, dominer l’ensemble, entraîner ou retenir, mais cependant être toujours prêt à abdiquer, pour reprendre au moment voulu le rôle d’accompagnateur ; sans cette souplesse d’autorité du premier violon, qualité plus rare qu’on ne pense, le quatuor n’est plus une conversation, mais tourne bien vite à une querelle dans laquelle, entraîné par l’exemple du chef, chacun écrasant et dominant son voisin, triomphe égoïstement sur les ruines de l’œuvre[1]. »

Quels sont les mots qui éclairent ce paragraphe et qui nous révèlent la fonction et le devoir de ce premier instrument ? Ceux que j’ai soulignés ; et ceux-là, phrase, conversation, querelle, se rapportent tous à la forme, à la communication, à l’échange, à la passion des paroles humaines.

Même procédé à l’égard de l’instrument qui vient ensuite. « Le second violon, confident naturel du premier, est cependant, malgré son rôle modeste, appelé à tout moment à dominer à son tour dans cette conversation musicale[2]. »

Le troisième esprit du quatuor, l’alto, a un rôle qui est tout de conciliation. C’est à sa voix douce et plaintive que l’on confie ces notes dont la sensibilité plaintive ne peut être traduite ni par la voix dominante du violon, ni par la fermeté puissante de la basse.

Enfin le quatrième esprit, le violoncelle, est sans doute, par sa voix grave, basse d’accompagnement ; mais il est aussi partie chantante ; et son importance égale presque celle du premier violon[3].

Peut-on comprendre ainsi et bien goûter cette conversation chantée par des esprits dont on entend la voix, mais non les paroles ? peut-on la savourer au milieu d’un nombreux auditoire ? « La meilleure condition pour bien goûter ce genre de musique, c’est l’intimité dont le charme s’allie si bien au naturel et à la simplicité des maîtres… Quelle impression charmante qu’un début de quatuor dont l’harmonie relie spontanément les esprits, rattache à la même idée les âges et les caractères différents, et change en un instant la situation de l’âme ! » Oui, mais cet effet se produit « surtout dans ces aimables réunions d’artistes et d’amateurs, où le culte de l’art est traditionnel, dans ces réunions intimes, composées d’amis choisis, habitués dès l’enfance à pratiquer le beau sous toutes ses

  1. Ouvrage cité, p. 19.
  2. Même ouvrage, p. 20
  3. Même ouvrage, p. 21.