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le quatuor. Puis il arrive aux instruments du quatuor. Jusqu’ici nous n’avons rien rencontré, dans nos lectures, qui contienne autant d’observations psychologiques fines et justes et qui éclaire le sujet d’un jour aussi vif.

« Quelles sont les ressources instrumentales du quatuor proprement dit, et leur valeur individuelle et relative ?

« Deux violons, un alto, un violoncelle. Mais qu’on ne s’y trompe point, ce petit orchestre renferme une puissance mystérieuse qu’on ne lui supposerait pas. Ces quatre voix sont à la fois quatre esprits qui chantent, parlent, discutent ou s’harmonisent sous l’influence qui les domine[1]. »

Que l’on y réfléchisse : voilà un musicien de premier mérite, plein d’expérience, de sagacité, procédant par voie d’analyse. Il s’applique à former l’auditeur parfait du quatuor ; afin d’y réussir, il propose à l’imagination de cet auditeur de voir dans quatre instruments d’abord quatre voix ; et non seulement quatre voix, mais les voix de quatre esprits ; et non seulement les voix de quatre esprits, mais les voix de quatre esprits qui chantent ; bien plus, qui parlent ; bien plus encore, qui discutent. Tout de suite, vous êtes en présence de personnages vivants ; vous entendez leurs voix ; si vous ne percevez pas leurs mots, vous savez qu’ils parlent, et qu’en parlant ils discutent. Imaginez maintenant telle discussion, telle émotion, telle passion qu’il vous plaira ; vous avez un cadre, des interlocuteurs, une action. Quoi de plus intéressant, de plus lumineux ? Tout à l’heure, nous y noterons avec le même soin un autre intérêt, celui des sonorités agréables en même temps que parlantes, et des combinaisons que l’oreille aimera en même temps que les expliquera l’imagination.

Il importe de remarquer que notre théoricien psychologue ne met aucune atténuation à son langage lorsqu’il nous dit que « ces quatre voix sont à la fois quatre esprits ». S’il nomme ainsi les instruments du quatuor, il n’entend nullement faire une métaphore. Ses expressions veulent être prises au pied de la lettre. La preuve en est qu’il les répète sans y joindre aucun pour ainsi dire. Non seulement il maintient que ce sont là quatre esprits qui chantent et qui parlent chacun avec sa voix, mais il va nous apprendre en quoi, par quel rôle, par quel caractère chacun diffère des trois autres.

« Au premier violon appartient de droit le choix et la responsabilité du mouvement, l’indication du caractère général de l’œuvre,

  1. Même ouvrage, p. 19.