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Mais avant tout il est l’expression du sentiment (Ausdruck des Gemuths). L’art éveille dans le cœur de l’homme des impressions vives et durables. Sulzer s’élève aussi contre la tendance spéculative et la domination des règles.

L’esthéticien doit se placer au-dessus des règles. L’imagination est libre. << Échauffer l’âme, lui communiquer l’enthousiasme, favoriser l’inspiration, à cela se borne la théorie. » Dans l’âme de l’homme de génie brille la clarté, etc.

Sulzer se rapproche aussi de l’esthétique allemande par l’intuition (Anschauung) dont le mot revient sans cesse dans ses écrits. Winckelmann lui aussi ne fut-il pas inspiré par la vue du torse ?

2o Les pages consacrées à l’esthétique des Italiens ne sont pas non plus sans intérêt, quoique la conception nous paraisse aussi trop étroite. Nous n’en pouvons dire que quelques mots. L’esthétique italienne emprunte son caractère général et ses règles aux grands modèles artistiques qu’elle avait sous les yeux. Ce caractère est le sens de l’extraordinaire dans l’art. La formule est-elle bien exacte ? Voici comment elle est expliquée et appliquée.

L’auteur signale d’abord l’opposition qui se manifeste au début du xviiie siècle contre le classicisme français en Italie dans tous les écrits esthétiques. Cette réaction, ce besoin d’indépendance se sent fortement chez tous les auteurs, Orsi, Fontanini, Muratori, Ricoboni. Conti admire les Anglais. Les modèles anglais ici sont Milton, Shakespeare. Dante est le symbole de l’unité italienne. Conti contredit Bossu. Le sublime, l’extraordinaire, le merveilleux qui dépassent les limites du vraisemblable, voilà ce qui apparaît dans les œuvres du Tasse, de l’Arioste. Le grotesque, le comique se révèlent aussi dans la littérature et dans les arts.

Partout le mépris des classiques français. « Nous surpassons tous les peuples dans l’épopée et la poésie lyrique », disent les Italiens. Les chants populaires à Venise sont exaltés. L’antiquité classique appartient à l’Italie méridionale, dit-on, Platon est opposé à Aristote. Le bon goût (l’ottimo gusto) doit régner, mais il y a un goût fécond et un goût stérile. Des facultés esthétiques, les unes sont créatrices, les autres réceptives. La puissance de l’imagination humaine (della fantasia humana) est célébrée. Dans Muratori, dans Gravina, ces idées partout se rencontrent. Muratori oppose au monde matériel le monde céleste. Les mondes possibles de Leibnitz, la pluralité des mondes sont des thèmes nouveaux. Les degrés de beauté sont marqués ; la beauté idéale partout est vantée.

L’auteur compare sous ce rapport l’esthétique italienne à l’esthétique anglaise et il en signale surtout les ressemblances. Même admiration pour Dante que pour Shakespeare et pour Milton. Gravina est le trait d’union entre Shaftesbury et Winckelmann.

Aux yeux de Muratori le génie musical est la première des facultés esthétiques. On se trouve en effet, dit notre historien, dans la patrie de