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ANALYSES.h. v. stein. Die Enstehung der Æsthetik.

dung), doctrine chère à l’auteur. Bref c’est l’avancement du sentiment dans l’esthétique suisse.

Le rôle de l’esthétique suisse est celui-ci : Elle clôt l’ère ancienne et ouvre l’ère nouvelle (p. 285). Dans l’esthétique suisse le sentiment pour la première fois prend la pleine possession de ses droits. L’esthétique sentimentale y est opposée au mécanisme de Descartes. Descartes et ses adhérents écrasent le sentiment. Leibniz, le grand philosophe allemand, et avec lui les Suisses le rétablissent.

Mais que faut-il entendre par sentiment ?

L’auteur s’efforce de nous le dire, p. 286. Pour d’autres, sa pensée peut être claire ; pour nous Français, qui sommes plus difficiles, elle reste à l’état d’énigme. Il a beau ajouter qu’il y a le sentiment réceptif et le sentiment productif : qu’entend-il toujours par le jugement de l’âme, la force du sentiment qui est le haut goût poétique ? Nous renonçons à comprendre ce qui est si peu défini. Pour nous, nous l’avouons, cette réhabilitation de Bodmer jugé sévèrement par les Allemands eux-mêmes nous laisse complètement sceptique.

Après Bodmer viennent Breittinger et Sulzer que l’auteur entre-prend aussi de réhabiliter. Brettinger donne un nouveau sens à l’imitation de la nature, qui consiste à l’idéaliser. L’art doit non pas imiter ni enjoliver, mais embellir la nature et cela pour satisfaire le sentiment. C’est non pas l’ordinaire mais l’extraordinaire qui est son but ; l’extraordinaire dans l’art c’est l’idéal. Ici, nouveau rapprochement avec Leibnitz et le système des mondes possibles. Les mondes possibles, c’est le vrai domaine de l’imagination pour les Suisses ; l’idée métaphysique est empruntée à Leibnitz.

La conclusion (p. 299) est que les Suisses ont plus d’originalité en ce sens que les Anglais ; mais ni comme penseurs ni comme écrivains, ils n’ont la parfaite conscience d’eux-mêmes.

« La théorie des beaux-arts de Sulzer représente, dans un plus large développement, les résultats de ce mouvement opéré au sein de la culture esthétique suisse » (p. 300). On reconnaît, chez lui, deux directions, l’une pratique, l’autre théorique. Dans la première, le but moral de l’art est conçu dans un sens élevé.

L’art élève l’âme, ennoblit les sens et le cœur. La thèse de Rousseau est fausse. L’esthétique, considérée par ce côté, fraye la voie à la philosophie ; elle l’aide à étendre son empire sur les âmes.

L’homme n’est homme qu’autant qu’il est capable d’une noble jouissance. La tragédie et le drame surtout le lui procurent. L’opéra est le plus grand et le plus important de tous les spectacles, parce qu’il réunit les jouissances de tous les arts ; Sulzer soutient les droits élevés de l’art. Considéré moralement, l’art adoucit les mœurs. Au point de vue théorique, l’art est expressif, non imitatif. L’homme est le centre de l’art. C’est sa nature que l’art exprime ou doit représenter ; il doit le représenter, non tel qu’il est, mais tel qu’il doit être.

En somme, l’art exprime le parfait, l’essentiel de la nature humaine.