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L’auteur finit par opposer le classicisme anglais au classicisme français.

L’esthétique des Anglais est particulièrement descriptive. L’exposé des théories de Hutcheson, de Harris, de Bürke, de Hume, donne lieu à des réflexions fort justes qui ne manquent pas d’intérêt. L’auteur revient ensuite à l’esthétique française, celle-ci représentée par Diderot, Dubos et Rousseau. Le naturalisme de Diderot, le sentimentalisme de Rousseau, lui aussi épris de la nature, ce qu’il y a de profond dans ce naturalisme sentimental : tout cela est bien mis en relief. Mais Rousseau appartient à la Suisse et il n’est pas sans rapport, même avec Kant. Par là nous nous rapprochons déjà de l’esthétique allemande.

On voit la tendance générale de l’auteur. Le point central vers lequel gravite toute cette histoire, c’est le sentimentalisme allemand. Le rationalisme abstrait et froid, sans liberté et sans vie, caractérise le classicisme français ; c’est la première étape, ou, comme disent les Allemands, le premier stade. Le second, c’est la réaction vers le naturel, où le côté sentimental est réintégré. Le troisième achève ce mouvement vers l’intérieur. Pour désigner ce terme final, l’auteur se sert d’un mot intraduisible dans notre langue : l’Innerlicheit, la profondeur du sentiment intime. Voilà le pivot ; nous y reviendrons.

III. L’espace ne nous permet pas de faire connaître en détail la troisième partie qui, malgré ses défauts, ne nous paraît pas moins intéressante et ne pas manquer d’originalité ; nous ne pouvons que retracer la pensée dans sa marche générale, en indiquant la manière dont l’auteur conçoit et apprécie les principales doctrines à son point de vue ethnographique.

1o On trouvera sans doute un peu vague la formule dont il se sert pour caractériser l’esthétique suisse. Les Suisses, nous dit-il, conçoivent l’élément esthétique « comme une force d’élévation (als eine Kraft Erhebung). Il faut entendre par là non une manière de sentir, mais un jugement (Urtheil der Seele) ». Mais on a ici un échantillon de sa critique et du principe qui en est la base : le sentiment, la manière de sentir générale. Voilà le critérium.

L’auteur s’efforce de démontrer sa formule en l’appliquant aux esthéticiens suisses, et c’est à Bodmer d’abord qu’il s’attache ; il essaye fort longuement de le réhabiliter.

Là, encore, comme chez les Anglais, se révèle selon lui l’accord du goût avec la vertu. On nous donne aussi comme troisième forme du classicisme, l’humain universel (das Allgemeinmenschliche). N’est-ce pas le caractère du vrai classique en général ?

Vient ensuite un rapport avec la culture allemande. L’idiome suisse est un dialecte allemand. L’affinité est évidente. « L’esthétique sort du sol national et cependant tend à s’élever au-dessus du national. C’est l’Ubernational in der National. Nous craignons que ces mots ne paraissent un peu vides. Bodmer, c’est l’art du sentiment (Kunstempfin-