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K. Henrich von Stein : Die Entstehung der neuern Aesthetik. (L’origine de l’Esthétique nouvelle.) Stuttgart, Cotta, 1886.

On est généralement d’accord aujourd’hui pour regarder la Critique du jugement de Kant comme marquant une ère nouvelle pour l’esthétique moderne. Celle-ci a produit déjà auparavant de nombreux et remarquables essais ; mais, avec Kant et sa méthode, elle prend le caractère de rigueur scientifique qui lui confère le droit d’avoir sa place définitive parmi les sciences philosophiques. Ainsi en ont jugé les récents historiens de cette science, R. Zimmermann, Schasler, Lotze, etc. Il semblerait dès lors qu’il n’y a guère qu’un intérêt purement littéraire à connaître les doctrines qui ont précédé l’auteur des trois Critiques.

Le livre que nous avons sous les yeux, et dont nous essayerons de rendre compte, nous paraît, sinon tout à fait propre à faire revenir de cette opinion, au moins à la modifier. Nous devons dégager d’abord la pensée générale ou l’idée directrice qui a présidé à sa composition. Énoncée clairement dans la préface, elle n’est autre que l’idée elle-même que l’auteur se fait de l’esthétique. « L’esthétique, nous dit-il, a pour objet de donner la parfaite intelligence de l’œuvre d’art. Ce que le génie a conçu d’intuition et réalisé dans ses œuvres, elle doit le faire connaître avec le monde de l’esprit tout entier. »

La conséquence de ce point de vue, beaucoup trop étroit selon nous, c’est que l’esthétique, comme science (et c’est bien la pensée qui ressort du livre), n’a pas d’existence propre ; elle n’en a pas même comme production distincte de la pensée. Ce sont (et il le dit) les œuvres de l’art qui créent les doctrines sur l’art ; ses formules ne sont que le reflet ou la traduction en langue abstraite des idées déjà représentées par les œuvres artistiques et littéraires à chaque époque et chez les diverses nations.

En cela l’auteur paraît partager la doctrine qui fait du milieu, de la race et du moment, les seuls facteurs de la création artistique et de la pensée humaine en général. Aussi l’écrivain qui chez nous a attaché son nom à cette théorie, M. Taine, est souvent cité, et son autorité est invoquée à plusieurs reprises dans cette histoire.

Conformément à cette méthode purement ethnographique, l’ouvrage est divisé en trois parties : la première est intitulée le classicisme français ; la seconde, qui a pour titre la direction vers le naturel, est consacrée au classicisme anglais ; la troisième nous retrace la conception du problème esthétique par les Suisses, les Italiens et les Allemands.

Nous ne pouvons en offrir au lecteur qu’une rapide analyse.

I. Le classicisme français, dans le domaine littéraire, est représenté surtout par Boileau, et ses prédécesseurs, Horace, Longin, Scaliger ; ses contemporains, d’Aubignac, La Ménardière, Corneille, etc. Boileau est le poète de la raison. Ce qu’il représente c’est le rationalisme dans l’art ; son point de départ comme théoricien, c’est Longin, le Traité du sublime dont il fit la traduction et le commentaire. Le principe de sa